29 septembre 2006

La rage d’écrire 2 : Le besoin de donner de la voix dans le tumulte

Dans le texte précédent, La rage d’écrire 1, nous avons vu Hubert Nyssen soutenir qu’aujourd’hui existait

« une rage épidémique : la rage d’écrire par rage d’exister, un besoin de donner de la voix dans le tumulte où l’on pourrait n’être pas entendu, dans une compétition où l’on risque de disparaître. »

La première partie de cette réflexion portait essentiellement sur le premier membre de la proposition : la rage d’écrire par rage d’exister. Cette rage a plus été associée à d’autres moyens d’expressions qui ont varié dans le temps et dans les couches sociales en fonction du développement, de l’accessibilité et de l’appropriation des moyens d’expression de chacun et de l’ensemble de la population. Aujourd’hui, l’écriture est à la mode et à la portée du plus grand nombre, de même qu’au moins un de ses moyen de diffusion les plus puissant : Internet.

Cette seconde partie s’attachera surtout au second membre de la proposition de M. Nyssen : « donner de la voix dans le tumulte où l’on pourrait n’être pas entendu ».

Je crois comprendre dans le texte de M. Nyssen qu’il entend le tumulte, entre autres mais pas seulement, dans la prolifération des sites personnels favorisée depuis quelque temps par le développement des blogues personnels s’apparentant à des journaux intimes.

Lorsque j’étais plus jeune, à l’âge où l’on se cherche et où l’on trouve plus de questions que de réponses, les journaux intimes étaient de petits carnets, pour les jeunes filles reliés avec une couverture de soie rose et soigneusement fermés à l’aide d’un petit cadenas cachés dans le tiroir de la table de chevet sous une pile de revues ou dans une boîte à chaussures au fond du garde-robe et, pour les garçons, à peu près n’importe quel autre support facile à dissimuler n’importe où car, on le savait bien à l’époque, un garçon ça n’écrit pas de journal intime, ça joue à la balle, au baseball, au hockey, en un mot, ça boue et ça ne réfléchit pas trop. N’empêche, devenus un peu plus vieux, à l’age où tombent les timidités et les tabous de l’adolescence, nous étions plusieurs gars à en avoir tenu, des journaux intimes.

Il était donc question de l’écriture intime sur Internet, sous la forme de blogues personnels particulièrement et en attendant d’être détrôné par un nouveau médium. Comme je le disais plus haut, dans ma jeunesse, les journaux intimes étaient intimes, TRÈS intimes. Personne n’y avait accès, ou presque sauf, quelques fois, les meilleurs amis mais jamais, au grand jamais les parents. Publier ses écrits intimes sur Internet c’est, de façon évidente les étaler à la face du monde. Que reste-t-il alors de l’intimité? Pourquoi ouvrir son « jardin intérieur » à tout venant? Quel avantage cela apporte-t-il? Quelle satisfaction en retire-t-on? Parce qu’il doit bien avoir des avantages, des satisfactions à s’ouvrir et se révéler ainsi. Sinon, pourquoi le faire?

Lorsque M. Nyssen parle des « mélos » et des « strip-teases », je suis assez convaincu que c’est à ce genre d’écriture qu’il fait allusion. Je n’en parle ici qu’à travers le phénomène des blogues mais il se reconnaît dans à peu près sous toutes les formes possibles de diffusion de l’expression de soi (journaux, livres, radio, télé…). En écrivant ces lignes, je repense à une émission de radio que j’écoutais distraitement l’autre soir, mangeant ma soupe d’une main, les yeux rivés sur un l’article d’un journal. La radio, dans ce contexte, ne constituait donc qu’un bruit de fond qui m’a vite agacé. Alors, j’ai tendu la main pour tourner le bouton et en tendant la main, j’ai entendu l’invité dire grosso modo (je le cite de mémoire) « qu’elle avait eue une mère formidable qui lui a transmise des valeurs incroyables qui l’ont guidée et aidée à réussir dans sa vie de mère et d’intervenante. » je me suis demandé « Mais intervenante ne quoi? Auprès de qui? » Alors, je n’ai pas tourné le bouton et j’ai porté mon attention sur l’interview. J’ai ainsi pu apprendre que l’interviewée avait eu trois enfants fantastique l’une étant une mère modèle, l’autre un avocat qui, après avoir œuvré pendant plusieurs années dans l’humanitaire venait de rentrer au service d’une grande corporation, je ne me souviens plus de que faisait le troisième mais c’était aussi une chose tellement belle et hors du commun. Et voilà, j’ai écouté l’interview pendant une bonne une quinzaine de minutes pour ne toujours pas savoir en quoi cette dame intervenait ni auprès de qui. Je n’ai entendu que l’apologie de la mère idéale, de ses enfants plus beaux et plus fins que tous les autres (comme ceux de toutes les mères), du mari aimant et encourageant et, sans jamais le dire ainsi, de la petite famille traditionnelle. J’ai finalement fait ce que je voulais faire un quart d’heure plus tôt : j’ai éteint la radio et je suis retourné à mon article.

Cette dame avait trouvé un forum, un médium où elle pouvait se raconter. Ce n’était qu’une petite radio communautaire locale, mais elle avait trouvé un lieu et un auditoire pour étaler toute sa fierté et sa reconnaissance pour sa mère et son mari de même que pour ses enfants. Ce n’est pas rien ce qu’elle a fait et c’est probablement à juste titre qu’elle en est fière. Mais, comme les blogueurs, comme ces écrivains qui transpirent devant leur écran et qui, à la fin, envoient tout tremblants leur manuscrit à l’éditeur, comme ces autobiographes qui s’autopublient à tirage confidentiel pour leur entourage, elle a dit ce qu’elle était, se fierté de l’être.

Toutes ces voix qui parlent d’elles en même temps, qui portent le message de leur identité et de leur histoire suffisent-elle à constituer le tumulte dont il est question ici? Probablement pas et c’est en cela que mon opinion diffère de celle de M. Nyssen. si l’on prend chacune de ces voix et que l’on cherche à l’accorder à celle de son voisin jusqu’à faire de l’écrit, comprendre ici tout ce qui s’écrit, un chœur qui entonne à L’unisson et sans fausse note l’hymne de la littérature, il y a fort à parier que le résultat ressemblera plus à une cacophonie qu’au Spem In Alium de Thomas Tallis.

Mais toutes ces voix ne sont pas égales. Même ceux qui se disent à travers elles s’entendent là-dessus. Il y a la littérature intime, à l’exemple de celle de diaristes comme Amiel, Benjamin Constant, Anaïs Nin ou Julien Green. Peu de blogueurs peuvent prétendre et peu prétendent effectivement être ou même vouloir devenir des diariste littéraires. Il y a une nette distinction à faire entre ce qui s’écrit dans le but de trouver des individus ayant les mêmes champs d’intérêts ou les mêmes préoccupations afin de former soit une communauté de pensée, soit un forum où les idées pourront se mesurer à celles des autres et ce qui s’écrit dans un but personnel ou pour documenter un événement précis, ce qui est le plus souvent le propos des journaux intimes des littéraires et autres personnages célèbres qui n’ont été publiés, bien souvent, qu’après leur mort.

Le phénomène de l’écriture intime sur les blogues ou sur Internet est un phénomène qui se dit beaucoup plus qu’il n’est en réalité. « Il n’y a pratiquement aucun écrit intime qui reflète exactement le vécu de son auteur » (G. Besançon, Psychiatrie Angevine). Cette affirmation est d’autant plus vraie que, du moment que l’écriture intime est destinée à un mode de diffusion quelconque, à grande ou petite échelle, elle ne peut pas comporter le même degré d’intimité ou d’introspection autocritique que celle écrite dans le secret de sa chambre, en cachette des siens.

Prévue pour la diffusion, l’écriture supposée intime que l’on retrouve si souvent dans les blogues, comporte une part de non-dit, de désir de se faire la part belle, du moins dans le contexte de la communauté où ils sont publiés. Cette écriture se caractérise également par l’anonymat. En effet, la règle d’identification de mise dans ces communautés virtuelles est celle du surnom. Si le choix du surnom peut, de temps en temps, dire beaucoup sur la personnalité, l’état psychologique ou la situation sociale de l’auteur du blogue, il ne révèle pas sa véritable identité. Celle-ci n’est presque toujours, dans les faits, révélée qu’à quelques intimes, quelques proches.

Mais jusqu’où va cet anonymat? Si on peut affirmer qu’il assure le clivage entre la vie réelle, physique, et la vie de blogueur ou de diariste dur Internet, les blogueurs se rendent habituellement assez vite compte que cet anonymat n’est qu’apparent. Car, s’il ne révèle pas leurs noms et adresses, il arrive que volontairement ou non, par de fausses confidences ou des confidences tronquées par l’autocensure, il permette au blogueur de se forger de toute pièce l’équivalent d’une véritable identité. L’écart, entre la personnalité réelle du blogueur et celle présentée sur Internet, est parfois assez important pour que l’individu commence à mener à une vie plus ou moins schizophrénique, au sens usuel du terme.

Ouf! Ce qu’on est loin de M. Nyssen! Faut croire que je me laisse emporter! Bon, tant pis!

Finalement, aurais-je moi aussi « donné de la voix dans le tumulte » et contribué à l’enfler un peu?


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22 septembre 2006

La rage d’écrire 1

Note : Vous savez que j’ai déjà une tendance à écrire de longs textes. Je vous préviens, avec celui-ci, je me surpasse. Vous m’excuserez d’avance pour la longueur.

La rage d’écrire 1

Connaissez-vous Hubert Nyssen? J’adore lire
Hubert Nyssen, écrivain, mais aussi fondateur de la superbe maison d’éditions Actes Sud. Pourtant, je connais mal son œuvre. Je n’ai lu que quelques uns de ses ouvrages (surtout des essais, dont L'Éditeur et son double I, II et III). Je le lis trop peu et trop peu souvent. Je fais mon mea culpa.

Mais, il y a quelques jours, j’ai découvert ce qui, pour moi, était un nouveau livre de lui (il date de 2004), j’ai failli dire un trésor : Lira bien qui lira le dernier; Lettre libertine sur la lecture. À ne surtout pas confondre avec une lettre sur la lecture libertine qui serait vraiment tout autre chose.

Ce livre est composé de plusieurs très courts chapitres. Dans celui intitulé « Qu’est devenue l’angoisse de la page blanche? » il aborde la question de la rage d’écrire que, selon lui, l’on rencontre aujourd’hui. Utiliser l’Internet comme vecteur de diffusion de discussion sur ce sujet, et surtout la blogosphère comme médium, me paraissent privilégiés pour discuter de cette rage où elle me semble particulièrement florissante. Mais permettez-moi d’abord de vous citer quelques lignes de Nyssen. Cela nous situera pour mieux poursuivre la discussion.

Les aveux indiscrets plaisent aujourd’hui plus que les bonheurs d’écriture. […] Mais dans le déferlement de tels mélos et strip-teases […] dans l’ivresse autofictionnelle […] je vous conseille d’abord d’être attentive, mademoiselle Esperluette [la lectrice imaginaire du livre] à une rage épidémique : la rage d’écrire par rage d’exister, un besoin de donner de la voix dans le tumulte où l’on pourrait n’être pas entendu, dans une compétition où l’on risque de disparaître.

(Hubert Nyssen, Lira bien qui lira le dernier, p.24)

Voici donc le sujet posé. Nyssen mentionne une rage. Une rage d’écrire. Écrire pour exister, pour être entendu, pour ne pas disparaître. Ce que j’en retiens c’est que de cette rage qu’il identifie, l’écriture n’est que le moyen d’expression, l’instrument de ce besoin d’être chez ceux qui nourrissent les mélos et les strip-teases et qui versent dans l’ivresse de l’autofiction et je me permettrai d’ajouter « l’autonarration ».

Toutes sortes d’interprétations sont à notre portée pour discuter du phénomène. Elles vont des interprétations sociologiques et psychanalytiques aux interprétations philosophique et linguistiques sans compter tous les types de méta interprétations possibles (métalinguistique, métadiscours, métacommunication, etc.).

Réglons d’abord le cas du tumulte et de l’épidémie, si vous le voulez bien. Prenons le XIIIe siècle par exemple, pour en prendre un, c’aurait pu être n’importe lequel des siècles antérieurs au XIXe. Au XIIIe siècle, disions-nous donc, le nombre d’écrivains et de leurs écrits ne pouvait être autrement que restreint puisque que près de 99 % de la population d’un pays comme la France ou l’Angleterre était illettrée et signait d’une croix tout au plus quelques documents officiels dans sa vie.

Aujourd’hui les proportions ne se sont pas tout à fait inversées, les statistiques le démontrent, mais elles penchent nettement en faveur des lettrés. L’instruction et l’éducation supérieure poussant leur démocratisation jusqu’à l’obligation scolaire jusqu’à un certain âge (variable selon les endroits mais règle générale permettant de compléter un cycle d’études secondaire de onze ou douze ans), je pense tout bêtement qu’il y a, proportionnellement à l’ensemble de la population, plus de gens aptes à s’exprimer correctement par l’écrit, plus de gens qui souhaitent le faire et plus de gens qui le font effectivement qu’au XIIIe siècle par exemple, où cette possibilité n’appartenait qu’à quelques privilégiés : ecclésiastiques, médecins ou hommes de loi.

Le tumulte et l’épidémie (la multiplication de l’écrit, quelle que soit sa forme) ne seraient donc pas dû à un quelconque mal de vivre ou à une certaine dépersonnalisation propre à notre époque où l’on aurait peur de sombrer comme peut le laisser entendre M. Nyssen. Je serais plutôt porté à en attribuer la cause à quelques siècles de démocratisation de l’instruction et, à la suite du développement technologique des dernières années, à l’appropriation des moyens de communications et de diffusion par les individus.

Puis, il parle de cette « rage d’écrire par rage d’exister ». Comme si l’existence ne pouvait trouver aujourd’hui sa réalité qu’à travers une « autonarration » et, surtout, à travers le regard de l’autre, la lecture que l’on offre de soi à l’autre. Je me raconte et tu me lis, donc je suis (Descartes nouveau). Cela serait trop beau et trop simple. Tous les psys et les logues de ce monde pourraient passer au recyclage, c’en serait fini de leur ère. Mais la vie n’est pas comme cela. L’autoreprésentation et son offre au regard des lecteurs potentiels, virtuels ou réels, ne crée pas l’auteur. Tout au plus crée-t-elle une instance intermédiaire qui s’apparente beaucoup plus à un narrateur qu’à l’auteur ou qu’à son Soi. Que l’on comprenne bien. Je ne prétends pas que, du moment où apparaît cette instance, authenticité ou vérité s’excluent d’elles-mêmes. Non. Le souci d’authenticité et de vérité subsiste. Si on peut parler, comme M. Nyssen, d’autofiction c’est seulement que la vérité n’est pas toute accessible au lecteur, pas plus que l’authenticité pour la simple et bonne raison qu’on ne peut pas tout dire et tout écrire (heureusement). L’écart entre ce qui est effectivement et ce qui compose la narration de l’autofiction, cet espace à jamais inaccessible au lecteur constitue aussi l’espace de son propre imaginaire. C’est dans cet espace que se crée la fiction. Dans cet espace que la vérité et l’authenticité peuvent se pervertir, se travestir, se maquiller de la réalité et de l’authenticité de chaque lecteur. Parce que celui qui lit n’est pas moins vrai, pas moins authentique que celui qui écrit.

Mais en même temps que tout cela, la réalité, l’authenticité, l’autofiction et l’autonarration, il faut reconnaître que la « rage d’écrire par rage d’exister » n’est pas une invention. Elle est réelle! Mais elle n’est en rien représentative de notre temps, de notre niveau d’instruction ou de notre niveau d’appropriation des technologies de diffusion. Cette « rage d’écrire par rage d’exister » a toujours été. Elle est le besoin irrépressible de peindre de Van Gogh, ou de composer de Beethoven ou de chanter de la Grande Albany ou d’écrire de Byron ou Shelley ou Virginia Woolf. Elle est aussi ce besoin irrépressible de combien d’autres inconnus qui ont ressenti à travers les temps cette même urgence à exprimer ce qu’ils sont. Cette rage d’aujourd’hui n’est pas différente de celle d’alors. Ce sont les moyens de sa diffusion qui le sont. Plus de lecteurs (quoi qu’en disent les oiseaux de malheur prédisant régulièrement la mort du livre ou pire, pour certains, de la lecture), plus de moyens financiers pour se procurer des livres, plus de diffuseurs et de libraires, plus d’éditeurs, plus de textes proposés aux éditeurs (assez, qu’ils risquent parfois de périr ensevelis paraît-il), plus de textes acceptés et édités par les éditeurs aussi. Mais par-dessus tout, les nouvelles technologies de communication.

La « rage d’écrire par rage d’exister »? Mais bien sûr! Elle est de ce temps-ci comme elle a été de celui d’hier et comme elle sera de celui de demain. Qu’importe la forme, l’homme aura toujours besoin de s’exprimer, de se dire, de se conter. Pour ce faire, il utilisera demain les moyens qui seront à sa disposition comme il utilisait hier ceux qu’il pouvait maîtriser.

Mais cette « rage d’écrire par rage d’exister » va bien au-delà de l’écriture stricto sensu. Je pense ici aux temps anciens et au paysan qui sculptait des figurines naïves pour s’occuper les dix doigts le dimanche, ou à ce bourgeois aquarelliste et à son épouse qui composait de petites sonates à l’épinette du salon, ou à ce nobliau de campagne féru de sciences qui se faisait bâtir un petit laboratoire au fond du jardin pour le plaisir d’y reproduire les expériences à la mode, ou bien, peut-être encore aujourd’hui, à cette secrétaire qui, le soir venu, rentre chez-elle pour s’inventer des robes et des manteaux qui l’habilleront comme une princesse malgré la modestie de ses revenus.

Si je viens d’énumérer ici quelques variations sur le mode de la « rage d’écrire », rien dans tout cela ne peut satisfaire en soi la dimension de la « rage d’exister ». Mais cette « rage d’exister », n’est-ce pas une rage de se faire reconnaître? De faire reconnaître non pas tant ses talents ou ses dispositions que son unicité? Selon les ambitions de chacun, ce peut être là chose assez aisée à réaliser. Il suffit au paysan de tantôt de donner sa figurine à l’un de ses enfants et qu’il ne veuille plus s’en séparer. À ce bourgeois aquarelliste d’encadrer ses œuvres et de les pendre au salon lorsqu’ils invitent des amis à écouter les nouvelles sonates de sa dame. À ce nobliau de préparer une démonstration de sa plus fameuse expérience lors d’une partie de campagne qui se déroulerait sur son domaine. Et à la secrétaire de répondre, faussement modeste, lorsqu’on lui demande où elle s’est procurée cette robe particulièrement jolie, « oh! Ça? C’est rien… un bout de chiffon que je me suis fait. Je me suis à peine permis une petite fantaisie ici ou là ». Pour la « rage d’exister », cela peut suffire à plusieurs, peut-être même à beaucoup. Peut-être même à plusieurs qui sont présents sur la blogosphère ou sur le net et qui ne cherchent pas à attirer des milliers et des millions de hits quotidiens. Mais, naturellement, tout ça dépend de l’ampleur de sa rage d’exister, de sa rage à se sentir vivant à travers les yeux des autres.

(À suivre :
2- Le « besoin de donner de la voix dans le tumulte où l’on pourrait n’être pas entendu »
Et
3- La « Compétition où l’on risque de disparaître ».)

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17 septembre 2006

« Les dieux gisants »

« Les dieux gisants ». C’est le titre de l’un des chapitres, l’un des très courts chapitres de La solitude lumineuse de Pablo Neruda, texte extrait de son livre : J'avoue que j'ai vécu que je viens de terminer. Je crois que, si ce n’était du droit d’auteur, je m’offrirais le plaisir de vous le citer en entier.

« […] Elles sont douces en leur ambiguïté métaterrestre bien connue, elles qui aspirent à s’en aller et à rester. Et ces lèvres de pierre si suave, cette majesté impondérable faite cependant de pierre dure […] ».


Comme ces mots m’enchantent! Comme leur musique est douce à mes oreilles! Pas tant parce qu’ils parlent du Bouddha, pas tant non plus par leur sensualité, même s’ils parlent de statues de pierre, mais parce qu’ils parlent de paix, de quiétude, de tranquillité. La paix et la quiétude des bouddhas gisants, la paix et la tranquillité de la pierre.

Plus loin dans ce texte, Neruda oppose les bouddhas gisants aux christs espagnols de son enfance. Il compare les écrins dans lesquels ces bouddhas et ces christs sont conservés : « Et il en émane une odeur non de pièce morte, non de sacristie et de toiles d’araignée, mais d’espace végétal, de rafales qui retombent soudain en ouragan de plumes, de feuilles, de pollen de la forêt sans fin… »

C’est en lisant ce texte que je crois comprendre pour la première fois mon attirance pour les bouddhas; ceux de pierre et les autres, les gisants et les verticaux. Je savais déjà être attiré par la sensualité de ces représentations et cette impression de paix et de tranquillité qui en émane. Mais Neruda met le doigt sur une chose dont je ne m’étais jamais rendu compte ou, du moins, à laquelle je n’avais jamais réfléchi, c’est l’écrin.

Il n’émanait pas des églises de mon enfance, contrairement à ce que laisse supposer celles décrites par Neruda, une odeur de pièce morte, de sacristie et de toiles d’araignées. Nous fréquentions des églises neuves dans des quartiers neufs; elles étaient claires, parfois même lumineuses et le bois y étincelait de toutes ses nuances. Mais déjà l’encens en avait imprégné tous les recoins, les cierges qui y brûlaient en permanence dégageaient une odeur qui prenait à la tête. Les confessionnaux nous rappelaient que, quoi que nous fassions, nous faisions le mal, même dans l’innocence de notre plus tendre enfance; le chemin de la croix nous montrait brutalement à quel point, deux mille ans auparavant, un certain Jésus avait souffert pour racheter les fautes dont nous allions nous laver au confessionnal (comme si Dieu n’avait eu que ça à faire, surveiller si j’avais tiré les tresses de ma sœur ou répété les gros mots que j’entendais dans la bouche des adultes).

Je n’avais jamais réalisé à quel point les statues du Bouddha constituent une révolution par rapport avec mon éducation. Cette aspiration « à s’en aller et à rester » m’a toujours été inconnue et, sans Neruda, je n’aurais pas su la nommer bien que je la reconnaisse. Ce regard de la statue posé sur celui qui la regarde (l’observateur observé, quoi!), à la fois indifférent, comme si ce que nous faisons ici-bas n’avait pas d’influence « là-haut », à la fois compatissant, comme s’il disait « je comprends, personne n’est parfait » et à la fois patient, comme s’il disait « Tôt ou tard, tu atteindras aussi le Nirvana ». Les statues du Bouddha nous disent, qu’il a d’abord été un homme bien avant d’être un illuminé; nous disent que l’illumination, si elle n’est pas donnée à tous, peut être à la portée de tous pourvu qu’ils s’en donnent la peine.

Contrairement à ce Christ que l’on représente en extase les yeux tournés vers le ciel ou à ce Christ crucifié, écartelé, ensanglanté qui regarde la terre (ou peut-être le monde) à ses pieds. Contrairement à ce Christ qui ne nous regarde jamais, nous, pauvres mortels qui ne sommes pas dignes de son Royaume, les statues de Bouddha, gisantes ou verticales, nous regardent droit dans les yeux et ainsi se placent à grandeur d’homme malgré leurs quarante mètres de longueur parfois.

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15 septembre 2006

Écrire une œuvre collective

En créant ce blogue, j’avais un rêve. Je suis un rêveur impénitent, vous savez. Ce n’était pas un rêve de la nuit. La nuit, je ne rêve pas ou, du moins, je ne m’en souviens pas. Non. Non, j’avais un vrai rêve, un vrai rêve tout éveillé, un de ces vrais rêves qui carburent à l’espoir et qui peuvent engloutir une énergie que l’on ne pensait même pas avoir.

Je ne suis pas le premier à avoir un de ces rêves. C’est même assez fréquent. Je ne suis donc pas original d’avoir rêvé. Mieux, même mon rêve n’est pas original. Plusieurs l’ont fait avant moi. Mais un rêve c’est un puissant moteur. Ça pousse dans tous les sens un moteur, un moteur ça pousse, c’est tout. Ça n’a pas de direction en soi. Facile à voir, faut juste regarder ceux qui ont rêvé avant moi. C’est une grande communauté les rêveurs, il ne doit pas être trop difficile de trouver des exemples.


Dans les années 1960, Joan Baez a fait sien le rêve de Ed McCurdy en chantant Last N
ight I Had the Strangest Dream, vite reconnu comme un archétype des valeurs pacifistes d’une génération entière. Le 25 mai 1961, c’était John F Kennedy qui rêvait, devant tout le Congrès étasuniens, d’envoyer un homme sur la lune avant la fin de la décennie. Martin Luther King, quant à lui, rêvait sur le sort des noirs étasuniens lorsqu’il prononça son fameux discours connu sous le nom de I have a dream. On sait quelle influence son rêve a eu sur leur sort. Quelques décennies plus tôt, dans les années 1930, en Allemagne, un mégalomane, paranoïaque, narcissique, asocial et épris d’un idéal dont il ne pouvait qu’être le seul représentant, rêvait de gloire et d’adulation. Cela donna un monstre combattu par toute la planète. Au début du vingtième siècle, c’était un ingénieur du bureau des brevets de Berne qui, selon la légende, volait du temps à son employeur pour se rêver chevauchant un rayon de lumière; c’est ainsi que Einstein aurait conçu la théorie de la relativité restreinte. Et on pourrait remonter, comme ça, de proche en proche, jusqu’à cet homme préhistorique qui, le premier, a remarqué que s’il se tenait à une certaine distance d’un incendie, il parvenait à se réchauffer sans se brûler pour autant; il apprivoisait le feu.



Tous ces exemples sont la preuve tangible, parfois merveilleuse, parfois terrible, de la puissance des rêves. Il ne faut jamais négliger la force tranquille des rêveurs. Mais il ne faut pas croire! Devant l’éminence de cet aréopage de prédécesseurs, je ne peux que me faire tout petit et ne prétendre à rien de tel. En comparaison de ces grands rêveurs, de ces passionnés de l'onirisme entreprenant, mon rêve à moi n’est rien. Mon rêve à moi n'a rien de grandiose, ne recèle pas le potentiel de changer le monde. Mon rêve à moi est tout au plus de l’ordre du plaisir et de la distraction. Mon rêve à moi ne prétend même pas changer la face de ceux et celles qui y prendront part. Mon rêve à moi, c’est de pouvoir, un jour, comme et avec bien d’autres, mettre mon nom sur l’en-tête d’un livre. Je dis mon nom mais ce n’est pas vraiment lui qui compte. Ce pourrait être un surnom. Le travail peut rester anonyme. Mon rêve à moi c'est de faire, pas d'être connu ou reconnu, félicité ou conspué. Ce que je veux dire c’est que j’aimerais laisser une trace, toute modeste, qui me survivra. Une trace dans la culture de mon temps, apporter ma contribution à l’échafaudage qui permettra à cette culture d’évoluer un tant soi peu.

J’avais donc pensé bâtir un blogue qui serait un lieu où l’on pourrait élaborer une œuvre collective. J’aimerais savoir que dans dix ans, cent ans, mille ans, nous nous serons mis à plusieurs pour fabriquer et poser notre brique dans l’édifice culturel du monde. je ne suis pas vaniteux, je ne suis pas orgueilleux non plus. Il ne m’importe pas que les autres, ceux qui admireront l’architecture de cet édifice, découvrent notre apport. Il ne m'importe même pas de savoir si la brique que j'aurai contribué à poser dans l'édifice sera visible ou non. Il m’importe de savoir que je l’airai fait. Je ne demande pas à être le maître-d’œuvre et encore moins le grand architecte de l’édifice culturel. On me le demanderait que j’en serais bien incapable, de toute façon. Je demande bien humblement la permission d’apporter mon petit caillou et de le poser là, si possible, parce que c'est là que je le trouve joli.

Puisque je ne suis pas de la trempe des Hugo, des Verlaine, des Baudelaire, des Stendhal, des Kafka, des Yourcenar, des Dostoïevski, des Zola et de tous ces autres, je me sens bien malhabile quand vient le temps de façonner ma brique. Dépassé par la tâche à accomplir pour la fabriquer tout seul, j’avais pensé que nous pourrions nous y mettre à plusieurs. Peut-être qu’à cinq, à dix, à vingt ou à cent, nous parviendrions à réaliser un petit quelque chose. Nous ne réaliserons rien de tout cela pour l’argent, non plus que pour la gloire ou la renommée mais pour la satisfaction de savoir que l’édifice de la culture ne se sera pas bâti sans notre concours, aussi modeste soit-il.

Je suis convaincu que cette blogosphère fourmille de personnes animées du même désir que le mien. Je demande à ces personnes de se faire connaître. Je compilerai les intentions exprimées et dès que nous serons en nombre suffisant (c’est-à-dire environ 6-8 pour commencer), je mettrai un nouveau blogue en ligne spécialement pour l’œuvre collective et aviserai tout le monde.

Vous savez, d’autres m’ont précédé dans les rêves éveillés. Et pas les moindres! Je ne prétends à rien avec mon rêve, sinon que de parvenir, après le temps qu’il faudra, à l’obtention d’une œuvre collective accessible à tous et appartenant à chacun de ses auteurs. Mon rêve ne prétend essentiellement qu’à deux choses : 1) rendre chacun des participants au projet fier de ce que nous aurons accomplis et 2) multiplier les rêveurs de ce rêve In Progress.

Faites connaître votre intention de participer :
toutsolo@gmail.com

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14 septembre 2006

La vie a-t-elle un sens?

« La vie n’a pas à avoir un sens » dit un des interlocuteurs de Pierre Dansereau dans le film Quelques raisons d’espérer présenté à Télé-Québec cette semaine.

J’ai accroché à cette phrase simple. Construction simple, vocabulaire simple, signification simple, du moins à première vue. Car, en dépit de ses apparences de simplicité et de limpidité — ou précisément à cause d’elles — cette phrase est hautement subversive. En disant que la vie n’a pas à avoir, elle prend l’exact contre-pied de la position habituellement entendue et rabattue par tous les psy et les logues selon laquelle la vie doit faire sens et qu’il appartient à chacun de se mettre en quête du sens de la sienne.

Préciser que la vie n’a pas à avoir n’exclue d’aucune façon qu’elle puisse avoir un sens. Seulement, ce n’a pas fait ressortir que ce sens n’est en rien essentiel à la vie elle-même. La vie se passe bien de sens, la vie est. Point. La vie se suffit à elle-même.

On voit bien qu’à cause de cette fameuse négation, ce n’est pas la vie qui a besoin de sens mais l’homme qui a besoin de lui en accorder un. À moins de tomber dans l’anthropomorphisme, rien ne peut laisser croire que, chez quelle qu’autre forme de vie connue, il existe une autre finalité à la vie que la vie elle-même et sa perpétuation.

Depuis la nuit des âges, l’homme cherche à donner un sens, trouver une raison, une origine, une cause et une finalité à sa présence sur cette planète. Cette recherche est aussi bien collective (à tous les niveaux de la collectivité, de la famille jusqu’à l’humanité), qu’individuelle. Pour tenter de trouver des réponses à ce questionnement, l’homme a inventé les religions et les philosophies, les valeurs, les codes et les rites.

Pour l’humain, tout doit faire ou prendre sens. La phrase citée dit qu’il n’en va pas de même pour la vie. L’humain se hâte d’ailleurs de trouver un sens à tout ce qu’il observe ou découvre le plus vite possible. De cette habitude sont nées de grandes et belles choses comme les sciences, les philosophies et les religions. De cette habitude sont nés aussi de grandes hérésies comme, par exemple, celles qui prévalaient dans la chrétienté du Moyen-Âge parce qu’aucune autre explication que théologique et basée sur les évangiles canoniques n’avaient droit de citer. Cette situation a conduit au déni d’évidences et d’observations pénétrantes de même qu’à l’occultation de savantes recherches et de leurs conclusions. Mais l’époque médiévale est révolue depuis longtemps et les recherches sont maintenant encouragées et leurs résultats largement diffusés d’abord dans la communauté scientifique puis, par la suite, auprès du grand public (du moins en occident). Cette simple remarque suffit à démontrer que l’homme est encore aujourd’hui et peut-être plus que jamais, avide de sens.

La recherche scientifique n’est qu’une des approches possibles dans la recherche du sens. Le développement et la prolifération des sectes de tous ordres illustre bien la profonde quête individuelle de sens que l’on connaît aujourd’hui. Elle illustre également la confusion profonde et le vide ressenti par plusieurs personnes vivant dans un monde occidentalisé. La nouvelle popularité de certaines philosophies ou religions d’origine asiatique indique que le sens, et les valeurs, traditionnellement accordées à la vie en occident, ne coïncident plus avec celui que veulent lui reconnaître leurs nouveaux adeptes.

Depuis toujours, il y a eu évolution du sens chez l’humain. De l’aube de l’humanité où l’homme a commencé à peindre des scènes de chasse sur les murs des cavernes et à ensevelir ses morts, jusqu’aux complexes dogmes catholiques et musulmans (qui laissent tous deux place à plusieurs interprétations différentes), en passant par les sanglants rites initiatiques de Mithra, l’humain a toujours su adapter le sens qu’il accordait à la vie au lieu, au temps, à son contexte sociologique, socio-économique et à son degré d’évolution.

Aujourd’hui, nous vivons dans des sociétés multiethniques et multiculturelles. Ces deux caractéristiques font que l’humanité se retrouve dans une situation rare. En effet, rares sont les lieux et les époques où il n’y a pas eu unité de valeurs et de sens, de dogme et de croyance en dépit d’un brassage perpétuel de gens, charriant dans leurs bagages leurs idées, leurs valeurs et le sens de leur vie. Jusqu’à tout récemment, on était d’un pays catholique ou protestant ou musulman ou hindouiste ou bouddhiste ou animiste ou chamaniste. Chacune de ces provenances présupposait un système de valeurs et un sens de la vie que l’on était présumé partager. Mais à cause d’une immigration planétaire croissante et du métissage de plus en plus grand des ethnies et des cultures qu’elle sous-tend, cette unité et cette présomption sont de plus en plus remises en question. L’évolution, la démocratisation, de même que la multiplication des voyages et des moyens de communication facilite les rapports entre les gens et les emmène à s’intéresser les uns aux autres et à se mieux connaître.

Il est peu probable que des discussions sur le sens de la vie aient directement lieu entre individus. C’est là domaine de spécialiste et c’est bien ainsi. Mais certaines valeurs, certaines croyances, certains rites se diront indirectement dans des discussions, s’échangeront lors de rencontres, même fortuites, entre individus. De là découlera peut-être l’amorce d’un enrichissement du sens de la vie de chacun.

Mais quoi que nous fassions, quoi que nous pensions et quel que soit le sens que nous lui accorderons, la vie sera. L’homme aura toujours besoin de lui donner un sens. Mais la vie, elle, n’aura pas à avoir un sens.

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11 septembre 2006

Le 11 septembre, c'est pas seulement New York

Je m’étais bien promis de ne pas tomber dans le piège. Tout le monde ne parle plus que de ÇA! Cinq ans! À la radio, on demande en tribune téléphonique de se prononcer : « Qu’est-ce que le 11 septembre a changé dans votre vie? » Aux informations à la télé, c’est George W. à Ground Zero, c’est le témoignage de pompiers accourus sur les lieux. Ce sont des proches qui pleurent encore des disparus. En un mot, ce sont les caméras indiscrètes qui ne laissent pas pleurer les gens en paix, qui ne laissent pas les survivants et les proches crier la douleur de leurs plaies qui ne se referment pas. Et ce sont aussi et surtout les politiques et les organisations officielles qui récupèrent la chose, qui justifient la présence des médias. Les Bush et Giuliani de ce monde qui pressent le citron du désastre humain jusqu’à la dernière goutte pour se faire du capital politique (pour eux ou leur parti… enfin). Ce sont les pompiers de New York, le fameux NYFD qui ne demande qu’à redorer son blason et stimuler une nouvelle vague de recrutement chez les jeunes en mal d’héroïsme.

Je m’étais promis de ne pas en parler parce que à part me rendre plus critique face aux États-Unis, leur politique, leur impérialisme et leur arrogance, moi, le 11 septembre n’a pas changé grand-chose dans ma vie. Alors à part les quelques lignes de défoulement plus haut, j’essaierai de me contrôler et de vous parler plutôt de… enfin, vous verrez!

Il y a plusieurs années j’ai rencontré, dans une librairie, un livre. Jusque là, rien d’extraordinaire. C’était un recueil de treize nouvelles (elle n’est pas superstitieuse) écrites par Spôjmaï Zariâb La Plaine de Caïn publié pour La première fois pendant l’occupation de l’Afghanistan par les Russes. La première nouvelle, La Plaine de Caïn, est « une dénonciation sans appel […] de la barbarie communiste » (Didier Leroy, Introduction).



Comme plusieurs auteurs orientaux, madame Zariâb sait, mettre en scène, conter, raconter les histoires. Dans cette nouvelle elle parvient à nous faire sentir les odeurs et l’horreur. Mais aujourd’hui, en la relisant, ce n’est pas surtout ça qui m’a frappé. Tous les soirs les informations télévisées nous emmènent leur lot d’horreurs sur ce pays. Ce que je retiens surtout de cette relecture c’est la première partie de la nouvelle. En effet, la nouvelle commence sur un air de fête.

La première phrase nous met dans le contexte général de la nouvelle. Et insinue un doute, une espèce d’appréhension qui ne quitte plus le lecteur pendant toute la première partie. « Les maisons, blotties dans le sommeil et la torpeur, tombaient en ruine. » Puis, avec sa deuxième phrase, l’auteure nous amène ailleurs avec une rare brusquerie. Elle précipite son lecteur dans un ailleurs qui n’a plus rien à voir avec le contexte établi : « C’était jour de fête ». Comme oxymoron, difficile de faire mieux!

Bien entendu, ce « Jour de fête » ne serait pas comme les autres. Bien entendu, le vieillard solitaire, héro de la nouvelle, ne verra pas les petites mains se tendre vers lui pour demander un tour de manège supplémentaire. Mais tout de même, à travers les souvenirs du vieillard, se dessinent une vie riante, une vie joyeuse, une vie « normale ». On rencontre un moment dans la vie d’une ville : un jour de fête. On rencontre un moment de vie où les enfants s’amusent, où les vieillards solitaires brisent leur solitude et s’émeuvent de tous ces enfants qui viennent à eux.

On rencontre des gens qui mènent une vie simple et probablement frugale. On parle d’une ville dans la nouvelle. J’ai plutôt compris gros village, chef-lieu avec mes normes occidentales mais qu’importe. Ce que j’ai retenu c’est la vie. C’est la vie heureuse, la vie faite des petites joies, des petits bonheurs… la vie d’avant les Soviétiques, d’avant les Talibans, d’avant les états-uniens, d’avant la force de l’OTAN.

Finalement, le 11 septembre a peut-être changé quelque chose dans ma vie. Le 11 septembre m’a peut-être ouvert à la différence. Le 11 septembre m’a peut-être rappelé que tant que l’ignorance de l’autre guidera nos rapports avec lui, ce sera l’intolérance la peur et la guerre, qui vaincront et les populations… TOUTES les populations qui perdront.

Finalement, j’aurai parlé du 11 septembre.

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09 septembre 2006

L’écriture et le destinataire

Il y a quelques minutes, je faisais un mot croisé dans une position que je ne vous décrirai pas. L’un des mots à trouver était « destinataire ». Comme je viens de mettre ce blogue en ligne et que, forcément, il n’y a encore que peu de visiteurs, j’en suis venu à m’interroger sur le destinataire.

Quel est donc le destinataire de ce blogue? Qui êtes-vous donc lecteurs, lectrices? Qui serez-vous donc? Serez-vous, seulement?

Dans l’histoire, à peine quelques formes bien précises d’écrits étaient destinées à un si large public que le destinataire en était complètement inconnu de l’auteur. Les traités scientifiques, les livres de médecine, les opuscules philosophiques ou les essais littéraires sont destinés à un lectorat précis qui permet de se faire une idée de qui lira l’ouvrage même s’il n’est pas possible d’identifier un véritable destinataire pour autant. Même les romans sont aujourd’hui destinés à des lectorats bien identifiés. Il y a la littérature jeunesse, les romans de gare, les romans pour les lectures de vacances, etc. Les services marketing des grandes maisons d’édition se font une spécialité d’identifier le lectorat cible pour un livre donné.

Rien de tel dans la mise en ligne d’un blogue. Ouvrir un nouveau blogue, c’est se lancer dans l’inconnu à la rencontre de l’Inconnu. À la rencontre de cet Autre auquel on n’accèderait peut-être jamais autrement et que l’on regretterait de ne pas avoir connu. À la rencontre de cet Autre qui sera peut-être, tout simplement. C’est se lancer à l’inconnu vers l’Inconnu en espérant que la rencontre sera belle et profitable. Que la rencontre saura engendrer des discussions passionnantes. Que la rencontre fera se heurter des idées et des concepts. Que la rencontre permettra de partager des valeurs et des convictions. Que la rencontre nous apaisera.

Ici, je m’adresse donc à l’Inconnu. L’Inconnu, c’est-à-dire vous. Qu’est-ce qui retiendra votre attention? Mon écriture retiendra-t-elle votre attention? Sera-t-elle trop personnelle? Ne suis-je en train d’écrire ici qu’un journal intime en m’imaginant que mes préoccupations puissent vous rejoindre? Est-ce que je prend ce blogue pour un exutoire à mon trop plein de… de quoi au juste?

Ici, je m’adresse à vous, l’Inconnu. À vous, les Inconnus.

Ici, je cherche mon destinataire, aussi évanescent et immatériel soit-il.

Et pourquoi vous… Oui, vous! L’Inconnu! Pourquoi ne feriez-vous pas de ce blogue un peu le votre?

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07 septembre 2006

Abolir la distance

J'aurais pu, pour la première fois que je m'adresse à vous, choisir de vous livrer un texte qui soit entièrement de ma facture. J'aurais aussi pu vous expliquer en long et en large les raisons de toutes sortes de choses reliées à ce blogue comme, par exemple, pourquoi je me nomme Solo, pourquoi j'ai décidé de créer ce blogue, vous dire quelle a été ma vie et ce qu'elle est aujourd'hui. Mais j'ai plutôt choisi de vous citer un court extrait de L'Évangile selon Pilate de Éric-Emmanuel Schimtt.

Où es-tu toi-même mon cher frère? Où liras-tu cette missive? Je ne sais rien des gens qui t'entoureront alors, des arbres et des maisons qui te protégeront, de la couleur du ciel sous lequel tu me déchiffreras. Je t'écris de mon silence pour rejoindre le tien, je t'écris pour abolir la distance, aller de ma solitude à la tienne. Oui, c'est cela. Ma solitude à la tienne. La solitude. Seule chose en quoi à coup sûr, nous sommes égaux. Seule chose qui nous sépare et nous rapproche. Porte-toi bien. (p. 187)

É-E Schmitt, L'Évangile selon Pilate

Cet extrait représente assez bien ce que je pense de la solitude. C'est un lieu commun que de dire que nous naissons et mourrons seuls. Pourtant, il faudrai y ajouter que nous vivons seuls aussi. Même mariés, partie d'un couple aussi fusionnel soit-il comme la mère et son enfant (du moins pour l'enfant qui ne distingue pas encore sa propre limite entre lui et sa mère), nous vivions seuls.

Que l'on soit gai ou triste. Que l'on connaisse une allégresse indicible ou une détresse insondable, jamais on ne parvient à faire que l'autre: le partenaire, l'épouse ou l'époux, l'amoureuse ou l'amant n'éprouve, ne ressente cette même joie, cette même mélancolie qui nous habite. Devant toutes ces exaltations, nous n'arrivons pas à faire communier l'autre à nos sentiments les plus intimes, à en partager la force. Comment espérer alors y parvenir avec des émotions plus douces, plus nuancées et pourquoi pas aussi plus mièvres ? Parce que les mièvres aussi ont le droit d'être partagées.

Hier, je regardais à la télé de Radio-Canada l'OSM dirigée par Kent Nagano jouer la 9e symphonie de Beethoven (oui, l'Ode à la joie). Et encore cet après-midi, je l'ai réécoutée par Karajan et le Philharmonique de Berlin. Dans cette symphonie Beethoven parvient à faire partager ses sentiments et ses émotions comme il y parvient dans le second mouvement de sa 7e symphonie. Et, ce faisant, en dépit de son handicap qui l'isolait plus que la plupart d'entre nous, il n'était plus seul. Mais qui d'entre nous possède les moyens de Beethoven ? Je parle de son orchestre bien sûr, mais aussi de son caractère, de ses connaissances musicales qui lui permettaient d'entendre la musique dans sa tête malgré sa surdité (bon, il paraît que... pour diriger l'orchestre... quand même...).

La solitude est notre lot fondamental à tous. Dire cela, ce n'est pas prôner une forme de découragement, de laisser aller ou d'abandon. Dire cela c'est s'affirmer comme étant la seule personne à qui nous soyons redevables. C'est soutenir que personne ne nous connaît mieux que nous même (parfois on ne veut pas se voir ou se reconnaître, c'est autre chose).

Nous sommes tous seuls les uns à côté des autres et, malgré nos efforts, nous ne nous rejoignons que rarement. C'est pourquoi, comme le dit Pilate à son frèr Titus : "La solitude. Seule chose en quoi à coup sûr, nous sommes égaux. Seule chose qui nous sépare et nous rapproche."

N'hésitez pas à commenter ce premier texte.

P.S.

Comme vous voyez, malgré mes bonnes intentions, j'ai fini par vous écrire encore pas mal. Alors, un peu d'encouragement ? et ainsi nous pourrons peut-être écrire (en paraphrasant Schmitt) pour abolir la distance, aller de votre solitude à la mienne.


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