21 novembre 2006

Un orgasme pour la paix

Un couple d’activistes pour la paix, Donna Sheehan et Paul Reffell, vient d’imaginer une nouvelle forme de manifestation de masse. Ils ne demandent pas aux gens de descendre dans la rue et de scander des slogans comme c’est le plus souvent la règle. Non, ils veulent plutôt que les gens restent chez eux.

Ils souhaitent que les manifestants fassent en sorte d’avoir un orgasme au cours de la première journée de l’hiver, le 22 décembre, à l’heure de leur choix et avec l’intimité qui leur convient le mieux, alors que leurs pensées, avant, pendant et après l’orgasme, se concentrent sur la paix.

Ils pensent que cette action insufflera un surcroît d’énergie positive à l’intérieur du champ énergétique de la terre et réduira ainsi le niveau de dangerosité, d’agressivité et de violence ambiant. Cet appel à une paix orgasmique fait suite à plusieurs tentatives du même genre. On a déjà vu, en effet, par les années antérieures, plusieurs groupes qui ont tenté de modifier l’énergie terrestre soit par des prières communes et globales, soit par des happenings de méditation, etc. Et, il faut bien reconnaître, sans grand succès jusqu’à maintenant.

J’ignore tout à fait si la paix orgasmique a une chance de réussir (en fait, je n’y crois pas beaucoup) mais je me dis que cette initiative, au moins, ne peut faire de mal à personne et n’a pas cet arrière-goût de prosélytisme que les essais précédents pouvaient laisser deviner. Comment être contre la vertue, surtout quand elle devient un plaisir ? Comment être contre des moyens aussi agréables et pacifiques pour tendre vers la paix universelle ? (Parce qu’on peut penser imposer la paix par des moyens agressifs, comme s’il n’y avait pas là contradiction dans les termes. Parlez-en à George Bush, Vladimir Poutine, Ehud Olmert et consorts).

Les initiateurs du mouvement Global Orgasm disent appuyer leur démarche sur les données scientifiques du Global Consciousness Project, associé à l’université de Princeton. A noter, le GCP émet une note indiquant qu’il y a une demande pour mesurer l’effet de cette manifestation. Les responsables du projet précisent qu’ils ne sont pas impliqués dans cet événement et n’ont pas été consultés au sujet de ce contrôle. Toutefois, s’il s’avère que cet événement est réellement global, ils y jetteront un coup d’œil.

Tout ce que je peux vous dire c’est que je suis, comme toujours, très sceptique face à l’efficacité de telles actions. Mais pourquoi ne pas profiter du plaisir que celle-ci peut offrir ? N’est-ce pas là, pour paraphraser René Lévesque, prendre « le beau risque » ?

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17 novembre 2006

Le Canada, Nairobi et la diplomatie

Je ne me prononcerai pas sur les positions canadienne et québécoise concernant le Protocole de Kyoto, sujet de la Conférence des Nations Unies sur les Changements Climatiques à Nairobi, au Kenya. Je veux surtout parler de l’attitude de la ministre Rona Ambrose et du gouvernement qu’elle représente face à la communauté internationale.

Au-delà de la polémique soulevée par l’isolement du Québec dans la délégation canadienne, il est en effet choquant de constater qu’une représentante d’un pays quelconque (je veux dire de quelque pays que ce soit, c’est seulement dommage qu’il s’agisse ici de celui dans lequel nous vivons) étale à la face du monde les différents et les tensions internes qui l'agite. Il est aussi désolant d’entendre la ministre désavouer la signature des gouvernements précédents dirigés par un autre parti que celui auquel elle adhère.

Quel est l’intérêt de prendre le reste du monde à témoin des mesquineries et des bassesses de la petite politique partisane canadienne? Tous les pays, tous les États, toutes les nations, tous les niveaux de gouvernement font face à ces réalités désolantes qui minent trop souvent la confiance de la population pour la chose politique. Tout le monde le sait! On peut même dire que c’est une vérité de Lapalisse. Est-ce une raison suffisante pour amener nos différents sur la place des Nations? Dans son discours, la ministre ne pouvait pas être plus explicite, plus petite politicienne, tenir des propos plus partisans : « Lorsque le nouveau gouvernement du Canada est entré en fonction cette année, nous avons constaté que la situation était inacceptable. Nous avons constaté que les mesures de réduction du changement climatique adoptées par les gouvernements canadiens précédents étaient insuffisantes et inexplicables. » Plus loin : « Nous avons reconnu que les approches volontaires du précédent gouvernement n’étaient pas suffisantes et qu’il était temps pour l’industrie canadienne de devenir un élément plus important de la solution. » (
Allocution de Rona Ambrose, présentée à la Conférence des Nations Unies sur les Changements Climatiques NAIROBI, 15 novembre 2006). Je l’ai dit, je ne me prononcerai pas sur les positions des gouvernements sur le protocole de Kyoto lui-même. Mais je pense que la ministre aurait pu exprimer les mêmes idées dans d’autres termes, des termes qui n’attaquaient et ne remettaient en cause le travail de personne, qui auraient été tout à fait acceptables dans le cadre d’une manifestation de cette envergure.

Dûment élue, comme son gouvernement, malgré son statut de minoritaire à la chambre, il faut reconnaître à la ministre et au gouvernement dont elle fait partie, le droit de critiquer les actions entreprises ou non par l’administration précédente. On peut aussi leur reconnaître le droit de procéder à certains rajustements dans la manière d’atteindre les objectifs que le Canada s’est fixé ou auxquels il s’est engagé auprès de la communauté internationale. On ne peut pas pour autant leur permettre de remettre en question les traités signés et ratifiés par la chambre des communes et le sénat sans déprécier la signature du Canada et qu’elle ne soit légitimement remise en cause par le reste de la communauté internationale par la suite. Respecté depuis longtemps par l’ensemble de la communauté internationale, le Canada ne peut sacrifier cette réputation de fiabilité, de stabilité et de confiance, acquise au fil des ans à cause de l’incurie de quelques politiciens en mal d’intransigeance et qui, sous couvert d’honnêteté, de franchise et de lucidité, en profitent pour étaler toute leur maladresse, leur méconnaissance des relations internationales et l’absence de confiance qu’ils peuvent avoir envers leurs fonctionnaires qui pourraient les conseiller.

Les Français qui ont l’habitude de la politesse et ne se sont jamais privés de dire ce qu’ils pensaient, devenant de ce fait les porte parole de plusieurs autres qui n’en pensaient pas moins sans pour autant oser le dire, ont rabroué sans détour la ministre. « Tous les gouvernements sont toujours tentés de défaire ce que le gouvernement d’avant a mis en place. Mais, en tous cas, sur un tel acte, c’est vraiment porter une lourde responsabilité » (Nelly Olin, ministre de l'Environnement et du Développement durable, France) (
Reportage de Jean-François Bélanger, Radio-Canada). Elle tenait ces propos 24 heures à peine après que son président, Jacques Chirac, ait déclaré, en visant, entre autres, le Canada : « que l'objectif de Kyoto est compromis “par ceux qui l'ont ratifié et qui reviennent maintenant sur leur engagement ou qui n'en respectent pas les dispositions.” »

Je passe la polémique qui veut que le Québec n’aie disposé que de quarante-cinq secondes pour présenter sa position. Les Québécois ont l’habitude de telles vexations de la part du gouvernement central. Et si certains ont pu croire qu’il en irait autrement avec un gouvernement conservateur plutôt que libéral imprégné de la pensée trudeauiste, ils se doivent maintenant de déchanter. C’est humiliant quand la délégation de son propre pays ne laisse pas s’exprimer le point de vue d’une province même, et pourquoi pas surtout, s’il diffère de celui qu’il émet. Mais cela devient carrément odieux quand il faut compter sur des pays amis pour faire la promotion de sa position, comme madame Olin l’a fait pour celle du Québec, lors de sa conférence de presse. Se dire qu’au moins nous avons des amis suffit-il à se consoler?

Ce n’est pas avec une attitude comme celle qu’il a adopté à Nairobi que le Canada se fera respecter des autres Nations. Le gouvernement conservateur a même profité de cette tribune pour réitérer son soutien inconditionnel au « grand frère » étasunien qui n’est même pas signataire de Kyoto : « [les] États-Unis – un pays que nous refusons de critiquer, d’isoler et d’exclure », dit la ministre. N’est-ce pas que c’est beau cette solidarité aveugle? Le gouvernement actuel devrait revoir son histoire des relations internationales canadiennes et se donner la peine de noter que ce pays a toujours tenu à marquer son indépendance face aux puissances de ce monde. C’est grâce à cette attitude qu’il a pu jouer un rôle diplomatique de premier plan depuis la fin de la seconde guerre mondiale (surtout depuis M. Pearson). Mais les événements des derniers jours ne permettent pas beaucoup d’optimisme. Parce qu’après les bourdes répétées de Nairobi, il semble que le premier ministre Harper ne promette pas d’être beaucoup plus habile au sommet de l’APEC à Hanoi. Il n’y est pas encore rendu qu’un imbroglio avec la Chine est déjà bien enclenché et qu’il s’en faut de peu pour qu’il tourne en incident diplomatique. Est-ce là la représentation que nous souhaitons pour le Canada? Il sera bien, je crois de penser, lorsque nous irons voter que nous y allons pour choisir un gouvernement qui dirigera les affaires intérieures mais aussi un gouvernement qui nous représentera à l’étranger. Un gouvernement à travers lequel le monde nous verra. La prochaine fois que nous irons voter, regardons-nous dans un miroir et demandons-nous si le choix que nous nous apprêtons à faire est bien conforme à l’image que nous souhaitons offrir au monde avant de sortir. Peut-être cela nous portera-t-il à y repenser à deux fois avant de faire un choix définitif.


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10 novembre 2006

La pauvreté d'ailleurs et d'ici (suite)

Ce midi, à la télé de Radio-Canada, j’ai regardé l’émission Au coeur de l'actualité, animée par Anne-Marie Dussault. Dans la seconde partie de l’émission, celle diffusée entre 12h30 et 13h, j’entendais les invités, la ministre Michelle Courchesne, le chanteur Dan Bigras, et Fatima Matrane discuter ensemble de la pauvreté. Je n’ai été qu’à moitié surpris d’entendre la Ministre défendre les actions de son gouvernement tout comme Dan Bigras et Fatima Matrane réclamer plus d’action et d’investissements.

Ce qui a pourtant plus retenu mon attention, c’est… comment dire… le ton du débat? non. L’attitude? non plus. Ah, volà! La perspective avec laquelle tous les intervenants appréhendaient la problématique de la pauvreté, qu’elle soit d’ici ou d’ailleurs. Tant la ministre que les deux autres invités de madame Dussault, parlaient abondamment d’argent et de programme, d’argent dépensé ou investi mais ce dernier terme entendu comme synonyme de dépenser comme on le donne souvent à comprendre.

Dans ce débat, la ministre était sur la défensive et les deux autres invités, sans être en mode attaque, étaient à tout le moins en mode revendication. On comprend donc un peu mieux son attitude. Mais dans tous les cas la rhétorique utilisée, le sens des commentaires des uns et des autres donnaient à comprendre que l’argent placé par le gouvernement dans les programmes sociaux visant à supporter les démunis d’ici constituait une dépense sèche ou un geste de générosité presque magnanime. Or, à mon avis, rien n’est plus vrai, rien n’est plus faux.

Tant que l’appareil étatique se contentera de maintenir les démunis à peine au-delà de la mendicité, l’argent englouti dans la lutte à la pauvreté demeurera sans effet réel et constituera une dépense sèche et les politiciens pourront encore se gargariser longtemps d’en faire plus que les provinces voisines, que plusieurs autres pays, sociétés, tout aussi avancées que celle du Québec.

Par contre, si les sommes investies étaient suffisantes pour constituer un réel soutien aux personnes démunies, pour mettre en place un accompagnement personnalisé à long ou moyen terme pour les outiller en vue de se sortir de leur état, si ces conditions étaient réunies, chaque dollar, chaque sous investi porterait fruit.

Il existe toutes sortes d’idées reçues sur la pauvreté et les gens qui s’y sont enlisés. Si nous nous entendions, pour dissiper la plus importante catégorie, c'est-à-dire que personne n’inclut la pauvreté dans son plan ce carrière. Qui, lorsqu’il était à l’école secondaire a entendu dire à l’un de ses amis « Oh qui? Moi? Oh moi, plus tard, je vais être pauvre. On est bien pauvre. On peut aller à l’Armée du Salut, à la Saint-Vincent-de-Paul, vivre dans un taudis partagé avec les rats du voisinage, se faire traiter de paresseux par tout le monde, même méprisé parfois. Ah que j’ai hâte d’être pauvre! ». On voit bien ici toute l’incohérence d’un tel discours. Alors disons que, si tous ne peuvent pas s’extirper de leur condition de démunis et d’assistés, pour cause de maladie chronique par exemple, beaucoup le pourraient et le voudraient dans la mesure où ils disposeraient des moyens nécessaires pour y parvenir.

Anecdote véridique :
Un assisté social (on dit aussi un … BS) rencontre un travailleur acharné qui met tout son cœur et son énergie à gagner son pain à la sueur de son front pour offrir aux siens un niveau de vie qu’il considère comme décent. Un troisième individu, témoin de la scène, partageant l’espace avec les deux premiers mais ne prenant pas part à la discussion. Après un long dialogue de sourds entre ces deux personnes, le travailleur s’impatiente et dit à l’assisté social : « pis t’es rien que comme tous les autres maudits BS, t’es juste trop lâche pour travailler! » blessé, notre pauvre s’en retourne, penaud, se terrer dans son deux et demie dans le sous-sol d’une maison de banlieue, loin de tout et éclairé par un seul petit soupirail. Notre pauvre parti, le travailleur prend le troisième individu à témoin et lui balance tous les préjugés, les on-dit et les idées reçues qui circulent à propos de ces « parasites » comme il dit. Ses propos sont vindicatifs, virulents. Quelques jours plus tard, notre troisième homme rencontre par hasard le premier qui s’était presque enfui après l’attaque dont il a été l’objet. Ils se sont assis et le témoin a écouté (comme se doit de le faire un bon témoin) mais cette fois, il a aussi questionné.

— Au-delà des préjugés, des misères, des questions
d’estime de soi, existe-t-il des raisons pratiques qui font que tu ne cherches
pas d’emploi?
— La réponse est venue, presque
instantanée : je n’ai pas assez d’argent. Je n’en ai pas assez pour faire
photocopier un CV que je n’ai pas les moyens de faire de toutes façon, pour des
enveloppes et des timbres pour les poster, pour des vêtements propres pour une
entrevue, pour payer le ticket d’autobus pour m’y rendre non plus.
— Comment cela est-il
possible?
— Une fois le loyer, l’électricité et
le téléphone payés, il ne me reste même plus de quoi manger pour le reste du
mois.

Fin de l’anecdote véridique.

On nous répondra qu’il existe des programmes de formation à l’emploi accessibles aux démunis intégrés au système. Cela est vrai, mais encore faut-il voir quelles formations sont offertes. La même personne que pour l’anecdote véridique en a suivi quelques uns. Pas tant qu’elle ait eu besoin des connaissances qui y étaient distillées mais parce que cela augmentait sa prestation et diminuait sa misère. Cette personne possède un diplôme universitaire, plusieurs années d’expérience dans son domaine et, une fois sa maladie stabilisée, elle pouvait raisonnablement penser à ravoir un poste équivalent à celui qu’elle occupait avant. Mais voilà, dans leur conception même, les programmes offerts prennent pour acquis que les individus ne peuvent espérer mieux que des emplois au salaire minimum, que ces personnes sont peu ou pas instruites, surtout qu’elles n’ont pas d’expérience du milieu du travail ou de la recherche d’emploi. Ce qui, bien sûr ne peut être le fait que d’une infime minorité. Et, comble de l’ironie, ces formations sont dispensées par des professionnels qui n’ont pas d’expérience de recherche d’emploi dans des postes au niveau de ceux qu’ils proposent. Un commis d’entrepôt, ça ne se présente pas de la même manière devant un employeur éventuel qu’un bachelier ou un détenteur de maîtrise.
Il existe également un autre grand démotivateur pour la réinsertion au travail et ce n'est pas celui auquel on pense généralement. Ce démotivateur n'a rien à voir avec le niveau du salaire minimum ou la perte de certains avantages (quelques uns diront privilèges) rattachés au statut d'assisté. Ce démotivateur, c'est le taux de taxation. Lorsque l'on est assisté et que l'on déniche un emploi, aussi modeste soit-il, on est sujet à une exemption d'entre 100 et 200$ par mois. Au-delà de ce montant, toutes les sommes gagnées sont déduites de la prestation. Cela revient à dire qu'une personne qui se trouve un emploi à temps partiel voit, au mieux, son revenu net augmenter de 100 ou 200$ par mois. C'est un peu comme si on disait aux travailleurs que toutes les sommes gagnées au-delà de l'exemption de base étaient assujetties à un taux d'imposition de 100%. Qui serait motivé à faire des efforts pour gagner plus dans de telles conditions?

Tout ça pour dire que je pense que l’argent placé en notre nom par le gouvernement dans les programmes sociaux actuels 1- ne constitue pas une dépense mais bien un investissement; 2- n’est pas suffisant pour générer de véritables effets positifs pour la société; 3- devrait servir, dans un premier temps, à améliorer la situation des individus, à diminuer la précarité dans laquelle ils sont confinés; 4- servir à la lutte contre les préjugés et l’ostracisme; 5- organiser un réseau de soutien pour la formation et la recherche d’emploi qui tiendrait compte de la formation des individus, de leurs intérêts et de leurs compétences. Ce n'est qu'à ces conditions que l'on pourra parler d'un véritable plan de lutte contre la pauvreté. D'ici là, on se contente de mettre un cataplasme sur la jambe de bois de la misère.

Dernière heure :
La ministre Courchesne déplore vivement le discours des groupes anti-pauvreté
MONTREAL (PC) - La ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale, Michelle Courchesne, déplore vivement le discours tenu par les groupes sociaux qui ont profité, jeudi, de la conférence Promesse du millénaire, pour reprocher aux gouvernements de ne pas en faire assez pour lutter contre la pauvreté.
(Suite…)

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La pauvreté d'ailleurs et d'ici

J’entendais aux informations de ce soir que s’est tenue aujourd’hui, 9 novembre, la Conférence promesse du millénaire de Montréal 2006. Cette Conférence portait sur la pauvreté infantile. On a bien entendu parler d’elle parce que ses organisateurs avaient pris soin d’inviter des orateurs prestigieux comme Bill Clinton et Mia Farrow. C’était une bonne stratégie.

À l’égard de la pauvreté infantile, je me suis toujours posé une question. La pauvreté infantile, pour exister, ne présuppose-t-elle pas la pauvreté tout court? Je ne peux m’empêcher de penser qu’il n’y a pas de pauvreté infantile, il n’y a que la pauvreté et, quand elle frappe, c’est des familles entières qu’elle affecte. Je veux dire que, si les enfants sont pauvres, s’ils ne mangent pas à leur faim, s’ils n’ont pas accès à l’eau potable ou à des installations sanitaires suffisantes pour assurer leur sécurité, ce ne sont pas que les enfants qui se retrouvent dans cette situation. Les parents la vivent également. Et si les parents ne mangent pas à leur faim, n’ont pas accès à des revenus suffisants pour satisfaire leurs propres besoins, comment imaginer qu’il seront à même de pourvoir à ceux des enfants et des autres membres de leur famille? Comment penser qu’ils seront à même d’entreprendre? Et pire, qu’ils pourront investir pour ouvrir une échoppe, acheter un vélo pour faire du transport, acheter les outils nécessaires pour pratiquer leurs métiers? Pour tout cela, il faut non seulement des sous, mais surtout une bonne santé et des forces suffisantes pour exercer son métier, faire son travail.

Dans ce qu’il était convenu d’appeler autrefois le tiers-monde, la pauvreté entraîne la pauvreté. La misère attire la misère. L’indigence amène l’indigence. Cette situation prend vite des airs de cercle vicieux et, quand elle s’installe dans une communauté, elle atteint vite des proportions endémiques. Cela la rendant d’autant plus dramatique que les ressources communautaires s’épuisent. Dès lors, ce ne sont plus que des individus ou des familles qui sont pauvres, mais des communautés entières qui se retrouvent sans moyens pour arrêter ou simplement ralentir leur dégringolade. Comment, dans de telles conditions, parler seulement de pauvreté infantile? C’est prendre une formule réductrice et volontairement sentimentaliste pour susciter l’adhésion. Il n’existe pas de mauvais moyen pour sensibiliser les gens à la pauvreté et aux actions qui peuvent être entreprises pour la réduire. Mais cette formule plus conçue pour émouvoir que pour sa justesse frôle la malhonnêteté intellectuelle. Et c’est bien là où le bât blesse.

Malgré ce raccourci et cette quasi-malhonnêteté, je suis sensible et révolté par la misère dans laquelle croupissent une majorité de personnes dans les pays que l’on dit aujourd’hui en voie de développement (expression politiquement correcte pour dire pays pauvres, en opposition à pays émergeants). Je suis en faveur de leur offrir toute l’aide dont ils peuvent avoir besoin pour se nourrir d’abord, s’assurer la sécurité sanitaire et enfin leur fournir une éducation qui leur permettra de s’affranchir de cette dépendance.

Mais je suis également sensible à une autre réalité; une réalité dont on parle moins, que l’on ne veut peut-être pas voir : la pauvreté chez-nous. Oui! Oui! Vous avez bien lu, chez-nous! Car elle existe bien cette pauvreté. Elle existe dans toutes nos sociétés riches et qui se veulent sociales-démocrates. On la retrouve dans toutes les villes et les villages du Québec, du Canada et des pays riches. Elle se présente dans des concentrations différentes, selon les endroits, mais elle est toujours présente, nulle part ne lui échappe.

Notre richesse et l’appareil gouvernemental dont nous nous sommes dotés permet, la plupart du temps, de garder la pauvreté cachée. Dans les villes les plus importantes, Montréal, Québec, Toronto, Vancouver, on voit bien des itinérants tendre la main, demander un peu de monnaie pour s’offrir le café qui les réchauffera avant d’aller se trouver un lit au refuge de l’Armée du Salut. Mais ce n’est que la pointe de l’iceberg. Le plus grand nombre a un toit et parvient, par divers moyens, surtout par le biais d’organismes communautaires, à se procurer des vêtements corrects et même, grâce à des organismes comme Moisson Québec, à se nourrir suffisamment. La pauvreté dans les pays industrialisés, à plus forte raison dans ceux qui composent ce cercle fermé qu’est le G8, n’a pas le même visage que dans les pays pauvres. Pourtant, elle n’en est pas moins dégradante, pas moins handicapante.

Dans les pays riches, la pauvreté entraîne souvent, dans son cortège de malheur, une dégradation du tissu social, une importante diminution de l’estime de soi accompagnée de ses sentiments d’incompétence et d’incapacité, une démotivation face aux études quand ce n’est pas tout simplement une incapacité à les poursuivre pour les raisons évoquées plus haut mais aussi pour cause d’estomac vide. Et le tout, à force de s’accumuler, finit souvent par prendre la forme de problèmes de santé mentale. Ces gens ne sont pas fous! Ils sont plutôt, la plupart du temps, déprimés, isolés, honteux de la situation dans laquelle ils se retrouvent. Alors ils frappent à la porte des institutions de services sociaux et de santé, hôpitaux et CLSC. Le seul hic, c’est que ces institutions sont peu, mal ou carrément pas organisées pour traiter la source de leur problème : la pauvreté et ce qui s’ensuit. Entendons-nous bien, c’est normal! Cela ne relève pas de leur compétence. Ces institutions sont prévues pour d’autres fins que celle-là. Mais c’est souvent le dernier refuge, la dernière issue que ces gens peuvent entrevoir. Alors, faute de mieux, par souci humanitaire, on décortique la problématique, on la sectorise et l’hôpital prend sa part, la dépression et les autres problèmes de santé mentale, du moins, le temps de laisser passer une crise. Les CLSC voient à un suivi moins intense mais plus étendu dans le temps, à condition de pouvoir attendre son tour sur la liste d’attente. En fin de compte, ne reste plus, bien souvent, que les organismes communautaires, centres de jour ou autres, qui offrent des services éminemment utiles mais bien incertains pour cause de précarité de financement.

Aux informations, on disait que devant le Centre des congrès, où se tenait la Conférence promesse du millénaire de Montréal 2006, il y avait une poignée de manifestants qui réclamaient, si j’ai bien tout compris, que l’on s’occupe d’abord de la pauvreté que l’on retrouve ici. C’est une forme d’application de la maxime qui veut que « charité bien ordonnée commence par soi-même ». Moi, je prétends que ces manifestants avaient à la fois raison et tort dans leur réclamation. Raison, parce que la pauvreté existe ici aussi et qu’elle est aussi ravageuse qu’ailleurs. Et tort, parce que je pense que si les pays riches, membres du G8 en tête, s’en donnaient la peine, ils auraient les moyens d’éradiquer la famine et la pauvreté partout. Tant dans les pays en voie de développement (c.-à-d., précisément ceux qui ne se développent pas encore) que dans les pays occidentaux. Mais pour ça, il faut de la volonté politique, bien sûr. Et, sur le plan de la pauvreté, c’est peut-être finalement dans ce domaine que les pays riches sont les plus indigents.

La pauvreté d'ici et d'aileurs (suite)


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08 novembre 2006

L'Islam

On a l’impression qu’il devient de plus en plus dangereux de réfléchir sur ce sujet et plus d’en parler ouvertement. En Occident, on croit volontiers qu’il suffit q’un illuminé décrète une fatwa (dans le sens où l’on comprend généralement ce terme en Occident) pour mettre la vie de l’auteur en danger. Heureusement, nous n’avons pas tous la réputation de Salman Rushdie pour attirer l’attention sur nos quelques réflexions somme toutes bien anodines.

C’est en lisant un reportage du Devoir sur une entrevue de l’écrivain tunisien Abdelahb Meddeb que m’est venu l’envie d’écrire ce texte. En fait, je n’ai pas envie de commenter le reportage pas plus que je n’ai envie de commenter les propos de M. Meddeb. Je ne suis pas Musulman. Par conséquent, ma connaissance de cette religion est assez limitée. Pourtant, cela ne m’empêche pas d’avoir des opinions. Pas des opinions sur la religion ou son texte fondateur, le Coran, mais une opinion sur ce qu’est devenu l’Islam.

Il est très malheureux qu’aujourd’hui, l’Islam ne présente à l’Occident qu’un seul de ses aspects et que ce soit le plus détestable d’entre tous : l’intégrisme islamique. Cela est malheureux parce que c’est loin d’être tous les Musulmans qui partagent cette idée. C’est seulement que les islamistes crient plus fort que les autres. Ils crient assez fort pour que ceux qui ne partagent pas leurs valeurs extrémistes comprennent qu’il ne leur sert à rien de parler, qu’ils ne couvriront pas les cris et les terreurs produits par les effets du terrorisme. Pourtant, ce sont ces gens qui forment la majorité des Musulmans, ce sont les seuls qui, s’ils parlaient, s’ils agissaient, auraient une chance d’arrêter ces horreurs.

Quoi qu’on en pense en Occident, le monde islamique a longtemps été à l’avant-garde de la philosophie, des sciences et de la connaissance. Pendant que dans l’Europe catholique croupissaient sous un obscurantisme forcé par cette Église hégémonique et qu’en son nom on brûlait vives pour sorcellerie de pauvres femmes qui avaient appris de leurs mères l’usage des simples et que les savants ne faisaient avancer leurs travaux qu’au péril de leur vie, la philosophie, les mathématiques, les sciences et la médecine continuaient de fleurir l’Islam. Au IXe et Xe Siècles, des savants comme
Avicenne connaissaient et commentaient les philosophes grecs, surtout Aristote. Quelques années plus tard, c’est Omar Khayyam qui se distingue par ses traités de mathématique et d’astronomie. Cette domination de l’Islam sur la philosophie et les sciences s’est poursuivie jusqu’à la fin du XIIe Siècle avec Averroès. Dans son entrevue, Meddeb déplore que l’Islam ait oublié ce legs de l’histoire. On peut en faire autant.

Bien sûr, certains diront que l’Occident s’est bien rattrapé en ce qui concerne la philosophie, les sciences et la médecine. C’est vrai. Mais ce qui est déplorable ce n’est pas le rattrapage de l’Occident. C’est l’arrêt de l’évolution des sciences sous l’Islam, le basculement des lumières vers l’obscurantisme.

Christian Rioux, dans son compte-rendu, n’hésite pas à dire que l’Islam de Meddeb « est à l’opposé de celui des imams analphabètes qui rêvent de dissimuler la beauté du monde sous une burqa » (Le Devoir, 3 novembre 2006). Il est en effet malheureux que l’Islam soit tombé dans le piège où s’est enferré le christianisme pendant presque tout le Moyen-Âge. L’Occident a fini par se sortir du Christianisme par sécularisation de la société et de ses structures. Ce n’est certainement pas la seule voie à suivre, mais il est clair que les pays islamiques devront trouver la leur. Pour le moment, ce sont les États-Unis qui tentent le leur imposer une manière de voir. Celle-ci n’est probablement pas adaptée à la culture arabo-persique et non plus directement transposable à ces milieux culturels si éloignés de ceux de son origine.

J’aimerais connaître cet Islam éclairé qui semble avoir régné entre les IXe et XIIe siècles, cet Islam ouvert qui fait la part belle à la connaissance, à la réflexion, à la recherche, à la discussion et à l’évolution de la pensée et de la théologie. Tout en écrivant ce texte, je suis à relire Samarcande de Amin Maalouf. C’est un roman, c’est entendu. Il parle d’Omar Khayyam, de sa vie, de la civilisation dans laquelle il a évolué. Mais j’ai retenu quelques passages qui me semblent assez révélateurs de ce qu’est devenu l’Islam d’aujourd’hui. S’agit-il de véritables citations de Khayyam? Je n’en sais rien et je crois que cela m’importe peu. Qu’elles soient authentiques ou non ne m’importe pas. Elles me semblent très « parlantes » et cela me suffit.

La première citation est présentée comme ayant été dite ou écrite par
Hassan Sabbah, chef de la secte des Assassins à la fin du XIe Siècle :

« Il ne suffit pas de tuer nos ennemis, leur enseigne Hassan, nous ne sommes pas des meurtriers mais des exécuteurs, nous devons agir en public, pour l’exemple. Nous tuons un homme, nous en terrorisons cent mille. Cependant, il ne suffit pas d’exécuter et de terroriser, il faut aussi savoir mourir, car si en tuant nous décourageons nos ennemis d’entreprendre quoi que ce soit contre nous, en mourant de la façon la plus courageuse nous forçons l’admiration de la foule. Et de cette foule sortiront des hommes pour se joindre à nous. Mourir est plus important que tuer. Nous tuons pour nous défendre, nous mourons pour convertir. Conquérir est un but, se défendre n’est qu’un moyen. » (p. 122-123)


On croirait lire une notice préparée à l’intention des auteurs d’attentats suicides que l’on voit malheureusement trop souvent aujourd’hui. Ceci m’amène à vous introduire la seconde citation. Celle-ci, dans le roman, est le fait d’un instituteur américain du début du XXe Siècle, enseignant à Tabriz :

« Quand je suis arrivé dans ce pays, je ne parvenais pas à comprendre que de grands messieurs barbus sanglotent et s’affligent pour un meurtre commis il y a mille deux cents ans. Maintenant, j’ai compris. Si les Persans vivent dans le passé, d’est parce que le passé est leur patrie, parce que le présent leur est une contrée étrangère où rien ne leur appartient. Tout ce qui pour nous est symbole de vie moderne, d’expansion libératrice de l’homme, est pour eux symbole de domination étrangère : les routes, c’est la Russie; le rail, le télégraphe, la banque, l’Angleterre; la poste, c’est l’Autriche-Hongrie… » (p. 239)


Bon, en Iran, en Irak, en Syrie, et ailleurs, les routes ce n’est plus la Russie, le rail, le télégraphe, la banque, ce n’est plus l’Angleterre (quoique la banque…) la poste ce n’est plus non plus l’Autriche-Hongrie. Mais le pétrole, c’est Exxon, Royal Deutsch Shell, British Petrolium, etc. le téléphone, c’est AT&T, et la liste pourrait continuer encore longtemps. En un mot, la situation du début du XXe Siècle que Maalouf fait décrire au professeur Américain ne semble pas avoir changé. Simplement que les profits, de nos jours, sont plus juteux dans les télécommunications, le pétrole, l’industrie automobile, le tabac et que sais-je encore. Tout est bon aux capitalistes… rien de nouveau là sous le soleil.

C’est dans le désordre et le bouleversement du monde que peut naître la terreur. Maalouf cite une parabole extraite du Manuscrit de Samarcande :
« Tois amis étaient en promenade sur les hauts plateaux de Perse. Surgit une panthère, toute la férocité du monde était en elle.
« La panthère observa longuement les trois hommes puis courut vers eux.
« Le premier était le plus âgé, le plus riche, le plus puissant. Il cria : “Je suis le maître de ces lieux, jamais je ne permettrai à une bête de ravager les terres qui m’appartiennent.” Il était accompagné de deux chiens de chasse, il les lâcha sur la panthère, ils purent la mordre, mais elle n’en devint que plus rigoureuse, les assomma, bondit sur leur maître et lui déchira les entrailles.
« Tel fut le cas de Nizam-el-Molk.
« Le deuxième se dit : “Je suis un homme de savoir, chacun m’honore et me respecte, pourquoi laisserais-je mon sort se décider entre chiens et panthère?” Il tourna le dos et s’enfuit sans attendre l’issue du combat. Depuis, il a erré de grotte en grotte, de cabane en cabane, persuadé que le fauve était constamment à ses trousses.
« Tel fut le cas d’Omar Khayyam.
« Le troisième était homme de croyance. Il s’avança vers la panthère les paumes ouvertes, le regard dominateur, la bouche éloquente. “Sois la bienvenue en ces terres, lui dit-il, mes compagnons étaient plus riches que moi, tu les as dépouillés, ils étaient plus fiers, tu les as rabaissés.” La bête écoutait, séduite, domptée. Il prit l’ascendant sur elle, il réussit à l’apprivoiser. Depuis, aucune panthère n’ose approcher de lui, et les hommes se tiennent à distance. »
Le Manuscrit conclut; « Quand survient le temps des bouleversements, nul ne peut arrêter son cours, nul ne peut le fuir, quelques uns parviennent à s’en servir. Mieux que quiconque, Hassan Sabbah a su apprivoiser la férocité du monde. Tout autour de lui, il a semé la peur; pour se ménager, dans son réduit d’Alamout, un minuscule
espace de quiétude. » (p. 138-139)

Vous, je ne sais pas, mais moi, cette parabole, elle me fait penser non pas à trois personnes, quoique l’on peut toujours personnaliser ce genre de réflexion, mais à deux États et une organisation. Dans Nizam-el-Molk, je vois les États-Unis et leurs alliés dans la guerre au terrorisme. Puissance, armée, assurance, voire arrogance, susceptibilité aussi dans leur cas (9/11= 2 986 victimes, et entre 46 743 et 51 843 victimes en Irak de puis le début de l’invasion en 2003 cf.
www.iraqbodycount.org) tout y est. Dans Omar Khayyam, je vois tous ces gens qui défendent une paix à tout prix dans une espèce d’angélisme pacificateur. Quant à Hassan Sabbah, il est évidemment une représentation de Ben Laden et de quelques autres leaders de la terreur, terrés dans leurs recoins plus ou moins secrets, plus ou moins isolés, plus ou moins atteignables.

Bon, encore un texte trop long!

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