07 septembre 2006

Abolir la distance

J'aurais pu, pour la première fois que je m'adresse à vous, choisir de vous livrer un texte qui soit entièrement de ma facture. J'aurais aussi pu vous expliquer en long et en large les raisons de toutes sortes de choses reliées à ce blogue comme, par exemple, pourquoi je me nomme Solo, pourquoi j'ai décidé de créer ce blogue, vous dire quelle a été ma vie et ce qu'elle est aujourd'hui. Mais j'ai plutôt choisi de vous citer un court extrait de L'Évangile selon Pilate de Éric-Emmanuel Schimtt.

Où es-tu toi-même mon cher frère? Où liras-tu cette missive? Je ne sais rien des gens qui t'entoureront alors, des arbres et des maisons qui te protégeront, de la couleur du ciel sous lequel tu me déchiffreras. Je t'écris de mon silence pour rejoindre le tien, je t'écris pour abolir la distance, aller de ma solitude à la tienne. Oui, c'est cela. Ma solitude à la tienne. La solitude. Seule chose en quoi à coup sûr, nous sommes égaux. Seule chose qui nous sépare et nous rapproche. Porte-toi bien. (p. 187)

É-E Schmitt, L'Évangile selon Pilate

Cet extrait représente assez bien ce que je pense de la solitude. C'est un lieu commun que de dire que nous naissons et mourrons seuls. Pourtant, il faudrai y ajouter que nous vivons seuls aussi. Même mariés, partie d'un couple aussi fusionnel soit-il comme la mère et son enfant (du moins pour l'enfant qui ne distingue pas encore sa propre limite entre lui et sa mère), nous vivions seuls.

Que l'on soit gai ou triste. Que l'on connaisse une allégresse indicible ou une détresse insondable, jamais on ne parvient à faire que l'autre: le partenaire, l'épouse ou l'époux, l'amoureuse ou l'amant n'éprouve, ne ressente cette même joie, cette même mélancolie qui nous habite. Devant toutes ces exaltations, nous n'arrivons pas à faire communier l'autre à nos sentiments les plus intimes, à en partager la force. Comment espérer alors y parvenir avec des émotions plus douces, plus nuancées et pourquoi pas aussi plus mièvres ? Parce que les mièvres aussi ont le droit d'être partagées.

Hier, je regardais à la télé de Radio-Canada l'OSM dirigée par Kent Nagano jouer la 9e symphonie de Beethoven (oui, l'Ode à la joie). Et encore cet après-midi, je l'ai réécoutée par Karajan et le Philharmonique de Berlin. Dans cette symphonie Beethoven parvient à faire partager ses sentiments et ses émotions comme il y parvient dans le second mouvement de sa 7e symphonie. Et, ce faisant, en dépit de son handicap qui l'isolait plus que la plupart d'entre nous, il n'était plus seul. Mais qui d'entre nous possède les moyens de Beethoven ? Je parle de son orchestre bien sûr, mais aussi de son caractère, de ses connaissances musicales qui lui permettaient d'entendre la musique dans sa tête malgré sa surdité (bon, il paraît que... pour diriger l'orchestre... quand même...).

La solitude est notre lot fondamental à tous. Dire cela, ce n'est pas prôner une forme de découragement, de laisser aller ou d'abandon. Dire cela c'est s'affirmer comme étant la seule personne à qui nous soyons redevables. C'est soutenir que personne ne nous connaît mieux que nous même (parfois on ne veut pas se voir ou se reconnaître, c'est autre chose).

Nous sommes tous seuls les uns à côté des autres et, malgré nos efforts, nous ne nous rejoignons que rarement. C'est pourquoi, comme le dit Pilate à son frèr Titus : "La solitude. Seule chose en quoi à coup sûr, nous sommes égaux. Seule chose qui nous sépare et nous rapproche."

N'hésitez pas à commenter ce premier texte.

P.S.

Comme vous voyez, malgré mes bonnes intentions, j'ai fini par vous écrire encore pas mal. Alors, un peu d'encouragement ? et ainsi nous pourrons peut-être écrire (en paraphrasant Schmitt) pour abolir la distance, aller de votre solitude à la mienne.