« Les dieux gisants »
« Les dieux gisants ». C’est le titre de l’un des chapitres, l’un des très courts chapitres de La solitude lumineuse de Pablo Neruda, texte extrait de son livre : J'avoue que j'ai vécu que je viens de terminer. Je crois que, si ce n’était du droit d’auteur, je m’offrirais le plaisir de vous le citer en entier.
« […] Elles sont douces en leur ambiguïté métaterrestre bien connue, elles qui aspirent à s’en aller et à rester. Et ces lèvres de pierre si suave, cette majesté impondérable faite cependant de pierre dure […] ».
Comme ces mots m’enchantent! Comme leur musique est douce à mes oreilles! Pas tant parce qu’ils parlent du Bouddha, pas tant non plus par leur sensualité, même s’ils parlent de statues de pierre, mais parce qu’ils parlent de paix, de quiétude, de tranquillité. La paix et la quiétude des bouddhas gisants, la paix et la tranquillité de la pierre.
Plus loin dans ce texte, Neruda oppose les bouddhas gisants aux christs espagnols de son enfance. Il compare les écrins dans lesquels ces bouddhas et ces christs sont conservés : « Et il en émane une odeur non de pièce morte, non de sacristie et de toiles d’araignée, mais d’espace végétal, de rafales qui retombent soudain en ouragan de plumes, de feuilles, de pollen de la forêt sans fin… »
C’est en lisant ce texte que je crois comprendre pour la première fois mon attirance pour les bouddhas; ceux de pierre et les autres, les gisants et les verticaux. Je savais déjà être attiré par la sensualité de ces représentations et cette impression de paix et de tranquillité qui en émane. Mais Neruda met le doigt sur une chose dont je ne m’étais jamais rendu compte ou, du moins, à laquelle je n’avais jamais réfléchi, c’est l’écrin.
Il n’émanait pas des églises de mon enfance, contrairement à ce que laisse supposer celles décrites par Neruda, une odeur de pièce morte, de sacristie et de toiles d’araignées. Nous fréquentions des églises neuves dans des quartiers neufs; elles étaient claires, parfois même lumineuses et le bois y étincelait de toutes ses nuances. Mais déjà l’encens en avait imprégné tous les recoins, les cierges qui y brûlaient en permanence dégageaient une odeur qui prenait à la tête. Les confessionnaux nous rappelaient que, quoi que nous fassions, nous faisions le mal, même dans l’innocence de notre plus tendre enfance; le chemin de la croix nous montrait brutalement à quel point, deux mille ans auparavant, un certain Jésus avait souffert pour racheter les fautes dont nous allions nous laver au confessionnal (comme si Dieu n’avait eu que ça à faire, surveiller si j’avais tiré les tresses de ma sœur ou répété les gros mots que j’entendais dans la bouche des adultes).
Je n’avais jamais réalisé à quel point les statues du Bouddha constituent une révolution par rapport avec mon éducation. Cette aspiration « à s’en aller et à rester » m’a toujours été inconnue et, sans Neruda, je n’aurais pas su la nommer bien que je la reconnaisse. Ce regard de la statue posé sur celui qui la regarde (l’observateur observé, quoi!), à la fois indifférent, comme si ce que nous faisons ici-bas n’avait pas d’influence « là-haut », à la fois compatissant, comme s’il disait « je comprends, personne n’est parfait » et à la fois patient, comme s’il disait « Tôt ou tard, tu atteindras aussi le Nirvana ». Les statues du Bouddha nous disent, qu’il a d’abord été un homme bien avant d’être un illuminé; nous disent que l’illumination, si elle n’est pas donnée à tous, peut être à la portée de tous pourvu qu’ils s’en donnent la peine.
Contrairement à ce Christ que l’on représente en extase les yeux tournés vers le ciel ou à ce Christ crucifié, écartelé, ensanglanté qui regarde la terre (ou peut-être le monde) à ses pieds. Contrairement à ce Christ qui ne nous regarde jamais, nous, pauvres mortels qui ne sommes pas dignes de son Royaume, les statues de Bouddha, gisantes ou verticales, nous regardent droit dans les yeux et ainsi se placent à grandeur d’homme malgré leurs quarante mètres de longueur parfois.
Plus loin dans ce texte, Neruda oppose les bouddhas gisants aux christs espagnols de son enfance. Il compare les écrins dans lesquels ces bouddhas et ces christs sont conservés : « Et il en émane une odeur non de pièce morte, non de sacristie et de toiles d’araignée, mais d’espace végétal, de rafales qui retombent soudain en ouragan de plumes, de feuilles, de pollen de la forêt sans fin… »
C’est en lisant ce texte que je crois comprendre pour la première fois mon attirance pour les bouddhas; ceux de pierre et les autres, les gisants et les verticaux. Je savais déjà être attiré par la sensualité de ces représentations et cette impression de paix et de tranquillité qui en émane. Mais Neruda met le doigt sur une chose dont je ne m’étais jamais rendu compte ou, du moins, à laquelle je n’avais jamais réfléchi, c’est l’écrin.
Il n’émanait pas des églises de mon enfance, contrairement à ce que laisse supposer celles décrites par Neruda, une odeur de pièce morte, de sacristie et de toiles d’araignées. Nous fréquentions des églises neuves dans des quartiers neufs; elles étaient claires, parfois même lumineuses et le bois y étincelait de toutes ses nuances. Mais déjà l’encens en avait imprégné tous les recoins, les cierges qui y brûlaient en permanence dégageaient une odeur qui prenait à la tête. Les confessionnaux nous rappelaient que, quoi que nous fassions, nous faisions le mal, même dans l’innocence de notre plus tendre enfance; le chemin de la croix nous montrait brutalement à quel point, deux mille ans auparavant, un certain Jésus avait souffert pour racheter les fautes dont nous allions nous laver au confessionnal (comme si Dieu n’avait eu que ça à faire, surveiller si j’avais tiré les tresses de ma sœur ou répété les gros mots que j’entendais dans la bouche des adultes).
Je n’avais jamais réalisé à quel point les statues du Bouddha constituent une révolution par rapport avec mon éducation. Cette aspiration « à s’en aller et à rester » m’a toujours été inconnue et, sans Neruda, je n’aurais pas su la nommer bien que je la reconnaisse. Ce regard de la statue posé sur celui qui la regarde (l’observateur observé, quoi!), à la fois indifférent, comme si ce que nous faisons ici-bas n’avait pas d’influence « là-haut », à la fois compatissant, comme s’il disait « je comprends, personne n’est parfait » et à la fois patient, comme s’il disait « Tôt ou tard, tu atteindras aussi le Nirvana ». Les statues du Bouddha nous disent, qu’il a d’abord été un homme bien avant d’être un illuminé; nous disent que l’illumination, si elle n’est pas donnée à tous, peut être à la portée de tous pourvu qu’ils s’en donnent la peine.
Contrairement à ce Christ que l’on représente en extase les yeux tournés vers le ciel ou à ce Christ crucifié, écartelé, ensanglanté qui regarde la terre (ou peut-être le monde) à ses pieds. Contrairement à ce Christ qui ne nous regarde jamais, nous, pauvres mortels qui ne sommes pas dignes de son Royaume, les statues de Bouddha, gisantes ou verticales, nous regardent droit dans les yeux et ainsi se placent à grandeur d’homme malgré leurs quarante mètres de longueur parfois.
1 bavardages:
Ne vous fiez pas à ce qui a été acquis du fait de l'avoir entendu de façon répétée; ni du fait de la tradition; ni du fait de la rumeur; ni du fait que ça se trouve dans une écriture... mais fiez vous à votre expérience, votre ressenti...
face aux bouddhas gisants.
Lau
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