La rage d’écrire 2 : Le besoin de donner de la voix dans le tumulte
Dans le texte précédent, La rage d’écrire 1, nous avons vu Hubert Nyssen soutenir qu’aujourd’hui existait
« une rage épidémique : la rage d’écrire par rage d’exister, un besoin de donner de la voix dans le tumulte où l’on pourrait n’être pas entendu, dans une compétition où l’on risque de disparaître. »
La première partie de cette réflexion portait essentiellement sur le premier membre de la proposition : la rage d’écrire par rage d’exister. Cette rage a plus été associée à d’autres moyens d’expressions qui ont varié dans le temps et dans les couches sociales en fonction du développement, de l’accessibilité et de l’appropriation des moyens d’expression de chacun et de l’ensemble de la population. Aujourd’hui, l’écriture est à la mode et à la portée du plus grand nombre, de même qu’au moins un de ses moyen de diffusion les plus puissant : Internet.
Cette seconde partie s’attachera surtout au second membre de la proposition de M. Nyssen : « donner de la voix dans le tumulte où l’on pourrait n’être pas entendu ».
Je crois comprendre dans le texte de M. Nyssen qu’il entend le tumulte, entre autres mais pas seulement, dans la prolifération des sites personnels favorisée depuis quelque temps par le développement des blogues personnels s’apparentant à des journaux intimes.
Lorsque j’étais plus jeune, à l’âge où l’on se cherche et où l’on trouve plus de questions que de réponses, les journaux intimes étaient de petits carnets, pour les jeunes filles reliés avec une couverture de soie rose et soigneusement fermés à l’aide d’un petit cadenas cachés dans le tiroir de la table de chevet sous une pile de revues ou dans une boîte à chaussures au fond du garde-robe et, pour les garçons, à peu près n’importe quel autre support facile à dissimuler n’importe où car, on le savait bien à l’époque, un garçon ça n’écrit pas de journal intime, ça joue à la balle, au baseball, au hockey, en un mot, ça boue et ça ne réfléchit pas trop. N’empêche, devenus un peu plus vieux, à l’age où tombent les timidités et les tabous de l’adolescence, nous étions plusieurs gars à en avoir tenu, des journaux intimes.
Il était donc question de l’écriture intime sur Internet, sous la forme de blogues personnels particulièrement et en attendant d’être détrôné par un nouveau médium. Comme je le disais plus haut, dans ma jeunesse, les journaux intimes étaient intimes, TRÈS intimes. Personne n’y avait accès, ou presque sauf, quelques fois, les meilleurs amis mais jamais, au grand jamais les parents. Publier ses écrits intimes sur Internet c’est, de façon évidente les étaler à la face du monde. Que reste-t-il alors de l’intimité? Pourquoi ouvrir son « jardin intérieur » à tout venant? Quel avantage cela apporte-t-il? Quelle satisfaction en retire-t-on? Parce qu’il doit bien avoir des avantages, des satisfactions à s’ouvrir et se révéler ainsi. Sinon, pourquoi le faire?
Lorsque M. Nyssen parle des « mélos » et des « strip-teases », je suis assez convaincu que c’est à ce genre d’écriture qu’il fait allusion. Je n’en parle ici qu’à travers le phénomène des blogues mais il se reconnaît dans à peu près sous toutes les formes possibles de diffusion de l’expression de soi (journaux, livres, radio, télé…). En écrivant ces lignes, je repense à une émission de radio que j’écoutais distraitement l’autre soir, mangeant ma soupe d’une main, les yeux rivés sur un l’article d’un journal. La radio, dans ce contexte, ne constituait donc qu’un bruit de fond qui m’a vite agacé. Alors, j’ai tendu la main pour tourner le bouton et en tendant la main, j’ai entendu l’invité dire grosso modo (je le cite de mémoire) « qu’elle avait eue une mère formidable qui lui a transmise des valeurs incroyables qui l’ont guidée et aidée à réussir dans sa vie de mère et d’intervenante. » je me suis demandé « Mais intervenante ne quoi? Auprès de qui? » Alors, je n’ai pas tourné le bouton et j’ai porté mon attention sur l’interview. J’ai ainsi pu apprendre que l’interviewée avait eu trois enfants fantastique l’une étant une mère modèle, l’autre un avocat qui, après avoir œuvré pendant plusieurs années dans l’humanitaire venait de rentrer au service d’une grande corporation, je ne me souviens plus de que faisait le troisième mais c’était aussi une chose tellement belle et hors du commun. Et voilà, j’ai écouté l’interview pendant une bonne une quinzaine de minutes pour ne toujours pas savoir en quoi cette dame intervenait ni auprès de qui. Je n’ai entendu que l’apologie de la mère idéale, de ses enfants plus beaux et plus fins que tous les autres (comme ceux de toutes les mères), du mari aimant et encourageant et, sans jamais le dire ainsi, de la petite famille traditionnelle. J’ai finalement fait ce que je voulais faire un quart d’heure plus tôt : j’ai éteint la radio et je suis retourné à mon article.
Cette dame avait trouvé un forum, un médium où elle pouvait se raconter. Ce n’était qu’une petite radio communautaire locale, mais elle avait trouvé un lieu et un auditoire pour étaler toute sa fierté et sa reconnaissance pour sa mère et son mari de même que pour ses enfants. Ce n’est pas rien ce qu’elle a fait et c’est probablement à juste titre qu’elle en est fière. Mais, comme les blogueurs, comme ces écrivains qui transpirent devant leur écran et qui, à la fin, envoient tout tremblants leur manuscrit à l’éditeur, comme ces autobiographes qui s’autopublient à tirage confidentiel pour leur entourage, elle a dit ce qu’elle était, se fierté de l’être.
Toutes ces voix qui parlent d’elles en même temps, qui portent le message de leur identité et de leur histoire suffisent-elle à constituer le tumulte dont il est question ici? Probablement pas et c’est en cela que mon opinion diffère de celle de M. Nyssen. si l’on prend chacune de ces voix et que l’on cherche à l’accorder à celle de son voisin jusqu’à faire de l’écrit, comprendre ici tout ce qui s’écrit, un chœur qui entonne à L’unisson et sans fausse note l’hymne de la littérature, il y a fort à parier que le résultat ressemblera plus à une cacophonie qu’au Spem In Alium de Thomas Tallis.
Mais toutes ces voix ne sont pas égales. Même ceux qui se disent à travers elles s’entendent là-dessus. Il y a la littérature intime, à l’exemple de celle de diaristes comme Amiel, Benjamin Constant, Anaïs Nin ou Julien Green. Peu de blogueurs peuvent prétendre et peu prétendent effectivement être ou même vouloir devenir des diariste littéraires. Il y a une nette distinction à faire entre ce qui s’écrit dans le but de trouver des individus ayant les mêmes champs d’intérêts ou les mêmes préoccupations afin de former soit une communauté de pensée, soit un forum où les idées pourront se mesurer à celles des autres et ce qui s’écrit dans un but personnel ou pour documenter un événement précis, ce qui est le plus souvent le propos des journaux intimes des littéraires et autres personnages célèbres qui n’ont été publiés, bien souvent, qu’après leur mort.
Le phénomène de l’écriture intime sur les blogues ou sur Internet est un phénomène qui se dit beaucoup plus qu’il n’est en réalité. « Il n’y a pratiquement aucun écrit intime qui reflète exactement le vécu de son auteur » (G. Besançon, Psychiatrie Angevine). Cette affirmation est d’autant plus vraie que, du moment que l’écriture intime est destinée à un mode de diffusion quelconque, à grande ou petite échelle, elle ne peut pas comporter le même degré d’intimité ou d’introspection autocritique que celle écrite dans le secret de sa chambre, en cachette des siens.
Prévue pour la diffusion, l’écriture supposée intime que l’on retrouve si souvent dans les blogues, comporte une part de non-dit, de désir de se faire la part belle, du moins dans le contexte de la communauté où ils sont publiés. Cette écriture se caractérise également par l’anonymat. En effet, la règle d’identification de mise dans ces communautés virtuelles est celle du surnom. Si le choix du surnom peut, de temps en temps, dire beaucoup sur la personnalité, l’état psychologique ou la situation sociale de l’auteur du blogue, il ne révèle pas sa véritable identité. Celle-ci n’est presque toujours, dans les faits, révélée qu’à quelques intimes, quelques proches.
Mais jusqu’où va cet anonymat? Si on peut affirmer qu’il assure le clivage entre la vie réelle, physique, et la vie de blogueur ou de diariste dur Internet, les blogueurs se rendent habituellement assez vite compte que cet anonymat n’est qu’apparent. Car, s’il ne révèle pas leurs noms et adresses, il arrive que volontairement ou non, par de fausses confidences ou des confidences tronquées par l’autocensure, il permette au blogueur de se forger de toute pièce l’équivalent d’une véritable identité. L’écart, entre la personnalité réelle du blogueur et celle présentée sur Internet, est parfois assez important pour que l’individu commence à mener à une vie plus ou moins schizophrénique, au sens usuel du terme.
Ouf! Ce qu’on est loin de M. Nyssen! Faut croire que je me laisse emporter! Bon, tant pis!
Finalement, aurais-je moi aussi « donné de la voix dans le tumulte » et contribué à l’enfler un peu?
1 bavardages:
Nous vous remercions de intiresnuyu iformatsiyu
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