Ce midi, à la télé de
Radio-Canada, j’ai regardé l’émission
Au coeur de l'actualité, animée par Anne-Marie Dussault. Dans la seconde partie de l’émission, celle diffusée entre 12h30 et 13h, j’entendais les invités, la ministre Michelle Courchesne, le chanteur Dan Bigras, et Fatima Matrane discuter ensemble de la pauvreté. Je n’ai été qu’à moitié surpris d’entendre la Ministre défendre les actions de son gouvernement tout comme Dan Bigras et Fatima Matrane réclamer plus d’action et d’investissements.
Ce qui a pourtant plus retenu mon attention, c’est… comment dire… le ton du débat? non. L’attitude? non plus. Ah, volà! La perspective avec laquelle tous les intervenants appréhendaient la problématique de la pauvreté, qu’elle soit d’ici ou d’ailleurs. Tant la ministre que les deux autres invités de madame Dussault, parlaient abondamment d’argent et de programme, d’argent dépensé ou investi mais ce dernier terme entendu comme synonyme de dépenser comme on le donne souvent à comprendre.
Dans ce débat, la ministre était sur la défensive et les deux autres invités, sans être en mode attaque, étaient à tout le moins en mode revendication. On comprend donc un peu mieux son attitude. Mais dans tous les cas la rhétorique utilisée, le sens des commentaires des uns et des autres donnaient à comprendre que l’argent placé par le gouvernement dans les programmes sociaux visant à supporter les démunis d’ici constituait une dépense sèche ou un geste de générosité presque magnanime. Or, à mon avis, rien n’est plus vrai, rien n’est plus faux.
Tant que l’appareil étatique se contentera de maintenir les démunis à peine au-delà de la mendicité, l’argent englouti dans la lutte à la pauvreté demeurera sans effet réel et constituera une dépense sèche et les politiciens pourront encore se gargariser longtemps d’en faire plus que les provinces voisines, que plusieurs autres pays, sociétés, tout aussi avancées que celle du Québec.
Par contre, si les sommes investies étaient suffisantes pour constituer un réel soutien aux personnes démunies, pour mettre en place un accompagnement personnalisé à long ou moyen terme pour les outiller en vue de se sortir de leur état, si ces conditions étaient réunies, chaque dollar, chaque sous investi porterait fruit.
Il existe toutes sortes d’idées reçues sur la pauvreté et les gens qui s’y sont enlisés. Si nous nous entendions, pour dissiper la plus importante catégorie, c'est-à-dire que personne n’inclut la pauvreté dans son plan ce carrière. Qui, lorsqu’il était à l’école secondaire a entendu dire à l’un de ses amis « Oh qui? Moi? Oh moi, plus tard, je vais être pauvre. On est bien pauvre. On peut aller à l’Armée du Salut, à la Saint-Vincent-de-Paul, vivre dans un taudis partagé avec les rats du voisinage, se faire traiter de paresseux par tout le monde, même méprisé parfois. Ah que j’ai hâte d’être pauvre! ». On voit bien ici toute l’incohérence d’un tel discours. Alors disons que, si tous ne peuvent pas s’extirper de leur condition de démunis et d’assistés, pour cause de maladie chronique par exemple, beaucoup le pourraient et le voudraient dans la mesure où ils disposeraient des moyens nécessaires pour y parvenir.
Anecdote véridique :
Un assisté social (on dit aussi un … BS) rencontre un travailleur acharné qui met tout son cœur et son énergie à gagner son pain à la sueur de son front pour offrir aux siens un niveau de vie qu’il considère comme décent. Un troisième individu, témoin de la scène, partageant l’espace avec les deux premiers mais ne prenant pas part à la discussion. Après un long dialogue de sourds entre ces deux personnes, le travailleur s’impatiente et dit à l’assisté social : « pis t’es rien que comme tous les autres maudits BS, t’es juste trop lâche pour travailler! » blessé, notre pauvre s’en retourne, penaud, se terrer dans son deux et demie dans le sous-sol d’une maison de banlieue, loin de tout et éclairé par un seul petit soupirail. Notre pauvre parti, le travailleur prend le troisième individu à témoin et lui balance tous les préjugés, les on-dit et les idées reçues qui circulent à propos de ces « parasites » comme il dit. Ses propos sont vindicatifs, virulents. Quelques jours plus tard, notre troisième homme rencontre par hasard le premier qui s’était presque enfui après l’attaque dont il a été l’objet. Ils se sont assis et le témoin a écouté (comme se doit de le faire un bon témoin) mais cette fois, il a aussi questionné.
— Au-delà des préjugés, des misères, des questions
d’estime de soi, existe-t-il des raisons pratiques qui font que tu ne cherches
pas d’emploi?
— La réponse est venue, presque
instantanée : je n’ai pas assez d’argent. Je n’en ai pas assez pour faire
photocopier un CV que je n’ai pas les moyens de faire de toutes façon, pour des
enveloppes et des timbres pour les poster, pour des vêtements propres pour une
entrevue, pour payer le ticket d’autobus pour m’y rendre non plus.
— Comment cela est-il
possible?
— Une fois le loyer, l’électricité et
le téléphone payés, il ne me reste même plus de quoi manger pour le reste du
mois.
Fin de l’anecdote véridique.
On nous répondra qu’il existe des programmes de formation à l’emploi accessibles aux démunis intégrés au système. Cela est vrai, mais encore faut-il voir quelles formations sont offertes. La même personne que pour l’anecdote véridique en a suivi quelques uns. Pas tant qu’elle ait eu besoin des connaissances qui y étaient distillées mais parce que cela augmentait sa prestation et diminuait sa misère. Cette personne possède un diplôme universitaire, plusieurs années d’expérience dans son domaine et, une fois sa maladie stabilisée, elle pouvait raisonnablement penser à ravoir un poste équivalent à celui qu’elle occupait avant. Mais voilà, dans leur conception même, les programmes offerts prennent pour acquis que les individus ne peuvent espérer mieux que des emplois au salaire minimum, que ces personnes sont peu ou pas instruites, surtout qu’elles n’ont pas d’expérience du milieu du travail ou de la recherche d’emploi. Ce qui, bien sûr ne peut être le fait que d’une infime minorité. Et, comble de l’ironie, ces formations sont dispensées par des professionnels qui n’ont pas d’expérience de recherche d’emploi dans des postes au niveau de ceux qu’ils proposent. Un commis d’entrepôt, ça ne se présente pas de la même manière devant un employeur éventuel qu’un bachelier ou un détenteur de maîtrise.
Il existe également un autre grand démotivateur pour la réinsertion au travail et ce n'est pas celui auquel on pense généralement. Ce démotivateur n'a rien à voir avec le niveau du salaire minimum ou la perte de certains avantages (quelques uns diront privilèges) rattachés au statut d'assisté. Ce démotivateur, c'est le taux de taxation. Lorsque l'on est assisté et que l'on déniche un emploi, aussi modeste soit-il, on est sujet à une exemption d'entre 100 et 200$ par mois. Au-delà de ce montant, toutes les sommes gagnées sont déduites de la prestation. Cela revient à dire qu'une personne qui se trouve un emploi à temps partiel voit, au mieux, son revenu net augmenter de 100 ou 200$ par mois. C'est un peu comme si on disait aux travailleurs que toutes les sommes gagnées au-delà de l'exemption de base étaient assujetties à un taux d'imposition de 100%. Qui serait motivé à faire des efforts pour gagner plus dans de telles conditions?
Tout ça pour dire que je pense que l’argent placé en notre nom par le gouvernement dans les programmes sociaux actuels 1- ne constitue pas une dépense mais bien un investissement; 2- n’est pas suffisant pour générer de véritables effets positifs pour la société; 3- devrait servir, dans un premier temps, à améliorer la situation des individus, à diminuer la précarité dans laquelle ils sont confinés; 4- servir à la lutte contre les préjugés et l’ostracisme; 5- organiser un réseau de soutien pour la formation et la recherche d’emploi qui tiendrait compte de la formation des individus, de leurs intérêts et de leurs compétences. Ce n'est qu'à ces conditions que l'on pourra parler d'un véritable plan de lutte contre la pauvreté. D'ici là, on se contente de mettre un cataplasme sur la jambe de bois de la misère.
Dernière heure :La ministre Courchesne déplore vivement le discours des groupes anti-pauvreté
MONTREAL (PC) - La ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale, Michelle Courchesne, déplore vivement le discours tenu par les groupes sociaux qui ont profité, jeudi, de la conférence Promesse du millénaire, pour reprocher aux gouvernements de ne pas en faire assez pour lutter contre la pauvreté.
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