Le Canada, Nairobi et la diplomatie
Je ne me prononcerai pas sur les positions canadienne et québécoise concernant le Protocole de Kyoto, sujet de la Conférence des Nations Unies sur les Changements Climatiques à Nairobi, au Kenya. Je veux surtout parler de l’attitude de la ministre Rona Ambrose et du gouvernement qu’elle représente face à la communauté internationale.
Au-delà de la polémique soulevée par l’isolement du Québec dans la délégation canadienne, il est en effet choquant de constater qu’une représentante d’un pays quelconque (je veux dire de quelque pays que ce soit, c’est seulement dommage qu’il s’agisse ici de celui dans lequel nous vivons) étale à la face du monde les différents et les tensions internes qui l'agite. Il est aussi désolant d’entendre la ministre désavouer la signature des gouvernements précédents dirigés par un autre parti que celui auquel elle adhère.
Quel est l’intérêt de prendre le reste du monde à témoin des mesquineries et des bassesses de la petite politique partisane canadienne? Tous les pays, tous les États, toutes les nations, tous les niveaux de gouvernement font face à ces réalités désolantes qui minent trop souvent la confiance de la population pour la chose politique. Tout le monde le sait! On peut même dire que c’est une vérité de Lapalisse. Est-ce une raison suffisante pour amener nos différents sur la place des Nations? Dans son discours, la ministre ne pouvait pas être plus explicite, plus petite politicienne, tenir des propos plus partisans : « Lorsque le nouveau gouvernement du Canada est entré en fonction cette année, nous avons constaté que la situation était inacceptable. Nous avons constaté que les mesures de réduction du changement climatique adoptées par les gouvernements canadiens précédents étaient insuffisantes et inexplicables. » Plus loin : « Nous avons reconnu que les approches volontaires du précédent gouvernement n’étaient pas suffisantes et qu’il était temps pour l’industrie canadienne de devenir un élément plus important de la solution. » (Allocution de Rona Ambrose, présentée à la Conférence des Nations Unies sur les Changements Climatiques NAIROBI, 15 novembre 2006). Je l’ai dit, je ne me prononcerai pas sur les positions des gouvernements sur le protocole de Kyoto lui-même. Mais je pense que la ministre aurait pu exprimer les mêmes idées dans d’autres termes, des termes qui n’attaquaient et ne remettaient en cause le travail de personne, qui auraient été tout à fait acceptables dans le cadre d’une manifestation de cette envergure.
Dûment élue, comme son gouvernement, malgré son statut de minoritaire à la chambre, il faut reconnaître à la ministre et au gouvernement dont elle fait partie, le droit de critiquer les actions entreprises ou non par l’administration précédente. On peut aussi leur reconnaître le droit de procéder à certains rajustements dans la manière d’atteindre les objectifs que le Canada s’est fixé ou auxquels il s’est engagé auprès de la communauté internationale. On ne peut pas pour autant leur permettre de remettre en question les traités signés et ratifiés par la chambre des communes et le sénat sans déprécier la signature du Canada et qu’elle ne soit légitimement remise en cause par le reste de la communauté internationale par la suite. Respecté depuis longtemps par l’ensemble de la communauté internationale, le Canada ne peut sacrifier cette réputation de fiabilité, de stabilité et de confiance, acquise au fil des ans à cause de l’incurie de quelques politiciens en mal d’intransigeance et qui, sous couvert d’honnêteté, de franchise et de lucidité, en profitent pour étaler toute leur maladresse, leur méconnaissance des relations internationales et l’absence de confiance qu’ils peuvent avoir envers leurs fonctionnaires qui pourraient les conseiller.
Les Français qui ont l’habitude de la politesse et ne se sont jamais privés de dire ce qu’ils pensaient, devenant de ce fait les porte parole de plusieurs autres qui n’en pensaient pas moins sans pour autant oser le dire, ont rabroué sans détour la ministre. « Tous les gouvernements sont toujours tentés de défaire ce que le gouvernement d’avant a mis en place. Mais, en tous cas, sur un tel acte, c’est vraiment porter une lourde responsabilité » (Nelly Olin, ministre de l'Environnement et du Développement durable, France) (Reportage de Jean-François Bélanger, Radio-Canada). Elle tenait ces propos 24 heures à peine après que son président, Jacques Chirac, ait déclaré, en visant, entre autres, le Canada : « que l'objectif de Kyoto est compromis “par ceux qui l'ont ratifié et qui reviennent maintenant sur leur engagement ou qui n'en respectent pas les dispositions.” »
Je passe la polémique qui veut que le Québec n’aie disposé que de quarante-cinq secondes pour présenter sa position. Les Québécois ont l’habitude de telles vexations de la part du gouvernement central. Et si certains ont pu croire qu’il en irait autrement avec un gouvernement conservateur plutôt que libéral imprégné de la pensée trudeauiste, ils se doivent maintenant de déchanter. C’est humiliant quand la délégation de son propre pays ne laisse pas s’exprimer le point de vue d’une province même, et pourquoi pas surtout, s’il diffère de celui qu’il émet. Mais cela devient carrément odieux quand il faut compter sur des pays amis pour faire la promotion de sa position, comme madame Olin l’a fait pour celle du Québec, lors de sa conférence de presse. Se dire qu’au moins nous avons des amis suffit-il à se consoler?
Ce n’est pas avec une attitude comme celle qu’il a adopté à Nairobi que le Canada se fera respecter des autres Nations. Le gouvernement conservateur a même profité de cette tribune pour réitérer son soutien inconditionnel au « grand frère » étasunien qui n’est même pas signataire de Kyoto : « [les] États-Unis – un pays que nous refusons de critiquer, d’isoler et d’exclure », dit la ministre. N’est-ce pas que c’est beau cette solidarité aveugle? Le gouvernement actuel devrait revoir son histoire des relations internationales canadiennes et se donner la peine de noter que ce pays a toujours tenu à marquer son indépendance face aux puissances de ce monde. C’est grâce à cette attitude qu’il a pu jouer un rôle diplomatique de premier plan depuis la fin de la seconde guerre mondiale (surtout depuis M. Pearson). Mais les événements des derniers jours ne permettent pas beaucoup d’optimisme. Parce qu’après les bourdes répétées de Nairobi, il semble que le premier ministre Harper ne promette pas d’être beaucoup plus habile au sommet de l’APEC à Hanoi. Il n’y est pas encore rendu qu’un imbroglio avec la Chine est déjà bien enclenché et qu’il s’en faut de peu pour qu’il tourne en incident diplomatique. Est-ce là la représentation que nous souhaitons pour le Canada? Il sera bien, je crois de penser, lorsque nous irons voter que nous y allons pour choisir un gouvernement qui dirigera les affaires intérieures mais aussi un gouvernement qui nous représentera à l’étranger. Un gouvernement à travers lequel le monde nous verra. La prochaine fois que nous irons voter, regardons-nous dans un miroir et demandons-nous si le choix que nous nous apprêtons à faire est bien conforme à l’image que nous souhaitons offrir au monde avant de sortir. Peut-être cela nous portera-t-il à y repenser à deux fois avant de faire un choix définitif.
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